Alliée Nation

Ils marchaient les bras levés
vers l’astre rouge palissant
comme une horde de dévots
qui priaient leur vertu
pour serrer dans son saint
leurs misères échappées.
Leurs jeunes têtes baissées
regardaient se tracer
le chemin effacé
que leur pas fatigué
dans leur âme creusait
par une nuit sans reflet.
Ils s’arrêtaient au puits
la soif dans les guenilles
pour tremper leur survie
dans l’eau trouble de vie
à la source maudite
d’un territoire banni.
Ils buvaient les mains levées
trinquaient à l’astre éteint
comme une horde d’impies
qui fuyaient leur salut
pour serrer dans son vin
leurs misères retrouvées.
Ils marchaient et buvaient
s’arrêtaient pour prier
il priaient et cherchaient
un verre sur un tapis
un tapis dans un verre
un Dieu dans leur coeur
et leur coeur partout
sans trouver pour chemin
qu’un vieux sentier battu…

© Amina MEKAHLI

Un train pour mille ans

S’il faut mille ans de plus
pour atteindre hier
le tirer en carrosse
et en faire un instant
repeint de prières
et cousu de fil blanc.

S’il faut mille ans encore
de doutes et d’envol
par dessus le présent
qui s’inscrit sur le flan
d’une rivière asséchée
de son cours d’antan.

S’il faut mille ans et puis
un an et puis
un jour et tant pis
pour regarder d’ici
le lointain disparu
revenir à la vie.

Mais mille ans c’est dit
mille ans c’est petit
pour un ange déchu
et une âme perdue
dans le cours asséché
d’une rivière disparue.

S’il faut une heure de plus
pour rattraper le train
qui s’en va vers demain
mille bonbons à la main
et mille baisers en chemin
aux voyageurs du destin.

S’il faut une minute et puis
une minute c’est assez
pour croire aux étoiles
et sourire aux tortues
qui sous leur carapace
se moquent de la vie.

© Amina MEKAHLI

Enfant bleu

Les deux pieds fatigués
s’enlisent doucement
dans le sable glacé
d’un rivage incertain.
La vague silencieuse
essuie de ses bras
mous
les petits châteaux
bleus
qui s’accrochent
maladroits
au rayon malicieux
du soleil qui s’en va,
comme un collier
de cailloux
que l’eau cruellement
en silence
dissout.
L’enfant rebâtira
son domaine
perdu
à l’abri du rivage
dans un monde
secret
à l’orée
d’une forêt
bleue.

© Amina MEKAHLI

Je mise Air

Ce matin je jure sur ma pomme
que j’écrirai des vers joyeux
des vers qui dansent la tête
dans le caniveau
le caniveau c’est pas joyeux
la tête dans les nuages
c’est joyeux
des nuages sous le soleil
c’est joyeux
le soleil c’est pas joyeux
quand le ciel est triste
je jure sur ma pomme
que je dessinerai la route
sur un fond de doute
une route comme un vers
un vers joyeux
qui fait danser les amoureux
mais les amoureux
c’est pas joyeux
ça pleure tout le temps
et ça ne sourit plus
c’est pas joyeux
les amoureux non
je jure alors sur ma poire
que je je colorierai
la grisaille
la grisaille des gens peureux
qui se parlent avec les yeux
mais les yeux ça dit rien
ou si peu
les yeux ça se ferme trop
les gens sont paresseux
ils dansent sans aveu
et s’en vont rentrer chez eux
en pensant rentrer à deux
les gens seuls
c’est pas joyeux non
c’est pas joyeux
les gens seuls
c’est des gens seuls
et c’est pas joyeux.

© Amina MEKAHLI