Algérie Requiem

Toi l’île perdue de mes légendes
d’enfant, l’île aux merveilles
pays sans prénom, ville sans
couvercle, maison mauresque
ou presque, un toit, juste un toit
de toi, et je reste chez toit, en toi.

Toi qui m’engloutis jusqu’à l’aveu
me tortures, toi sécheresse empalée,
gazelle en fuite, fil de mes rêves
de patrie, filant comme un trou noir
dans les cieux ouverts, à travers Dieu
qui te rattrape et te désavoue.

Toi chimère de mon âge de fleur
quand tombaient mes dents de lait
et que je croyais te les offrir, terre
de ma tête, terre de mon corps ébloui
quand je te savais et que tu m’ignorais,
étendue sans fin à travers mes pas
de nomade brûlée, de citadine endeuillée.

Toi l’île des îles! où es ton levant?
de quelle mer te mouilles-tu les mains?
quand se lève le jour sur les damnés
de Toi, les oubliés qui t’invoquent
Lève Toi! frappe ton front sur le ciel
qui ne t’aidera pas, le ciel est tombé,
le ciel est tombé amoureux de toi.

Lève Toi!tes fils maudits t’implorent
tes amants verts, tes hommes bleus,
tes femmes incolores s’agenouillent
devant toi, la langue dans le tombeau
et le coeur aux quatre coins de Toi.

Toi qui dort meurtrie entre un journal
et un café, toi qui écoutes les chants
des devins te dire que tu t’enfouis
dans la crevasse des cités perdues,
dans l’océan des chimères broyées.

Toi qui me dessines les oiseaux bleus
et les chemins de blé, toi qui me prends
dans tes dunes et me berces d’épopée
Toi qui m’abreuves de sang et me nourris
de fruits défendus, toi qui me lies en vie.

Toi mon toit
Je te veux Toi
Juste toit
Toit sur moi.

© Amina MEKAHLI

Post Mort Thème

Quand tu dormais dans ton habit blanc
je te souriais en pleurant
je pleurais de voir les autres pleurer
je glissais sur mon désarroi étrangère
à la vie,la tête dans le brouillard
et ton visage qui m’appelait
mais tu dormais dans ton habit blanc
et je ne pouvais approcher tes mains
les autres pleuraient tant que le bruit
devenait blanc,et le silence pleurait
je m’approchais de toi oh complice
dormant,je chatouillais tes pieds
sous ton habit blanc et te souriais
J’attends ton sourire encore ce matin
je te revois dans cette image que je t’ai
dessinée au milieu des pleurs incertains
te levant dans ton habit blanc en marchant
sur les têtes noyées dans les larmes
et prenant le cheval que je tenais pour toi
pour le monter plus loin et franchir les pleurs
à la vitesse de l’éclair et atteindre l’azur
Aujourd’hui encore je les vois soigner le rosier
et je souris car je te vois dans ton habit blanc
chevaucher les prairies et écouter les secrets
au fenêtres fermées quand tombe la nuit
J’attends ton sourire des années depuis en ouvrant
mes yeux ,je te vois quand tu dormais dans ton habit
blanc,je t’accroche un sourire mais ce n’est pas le tien
et j’attends au bord du chemin que tu repasses héros
de ma vie sur un cheval de bois,ou à bascule,
je ne me rappelle pas,cela fait tellement longtemps,
je ne me rappelle pas.

© Amina MEKAHLI

Le journal d’une lectrice (de journaux) pas très stupide

Un pays, des journaux, des langues, des plumes et des menteurs. La culture une impression, la vérité un vieux souvenir de vacances et la politique une science occulte. Que pensez vous de la science fiction ? me demande-t-on. La même chose que vous pensez vous de votre réalité je baigne dedans. Les sociétés secrètes, les manifestations de l’étrange, les morts qui parlent, les clones, les êtres vivants sans passé, et leurs ennemis, les êtres vivants dans leur passé,  une guerre impitoyable, des effets spéciaux, des morts, des disparus, et un désert, un grand désert comme prison (ceci est un résumé d’un grand discours).

Dans ce brouillard cependant des témoins, des êtres supérieurs qui ont décidé de décrire ce monde parallèle aux autres mondes, des êtres qui ont compris, planqués dans des cachettes secrètes, ils écrivent l’histoire. Des êtres supérieurs appelés LES JOURNALISTES.

Leur mission est grande, leur message est interplanétaire, il doivent le diffuser, ils doivent dire qu’ils ont été là, ils doivent dire qu’ils ont vu, ils ont vu les morts parler, ils ont vu les morts changer d’avis, ils ont vu les morts mentir aux vivants, et les vivants mentir au monde. Ces êtres supérieurs sont dotés d’une intelligence artificielle, d’une maîtrise de la langue du dictionnaire et d’une grande culture appelée Google, ils sont surhumains, ils ont une grande faculté de cliquer, un don surnaturel dont eux seuls sont dotés et qui fait d’eux les témoins sacrés d’une révolution annoncée.

Leur vie est difficile, ils jonglent entre leurs intérêts personnels et leurs intérêts personnels, il leur est difficile de choisir et pourtant ils sont forts et finissent pas choisir à contre cœur leurs intérêts personnels. C’est pour leur grande capacité à trancher, à prendre une décision, qu’ils sont désignés pour leur grande mission sacrée.

Leur portrait est facile à dépeindre,gueule de bois,langue de bois,et une grande mal-vie,un grand malaise,un grand discours,enfin tout est grand dans le monde des grands témoins de l’histoire quotidienne.

“Le monde va mal” est leur principal sujet décliné dans toutes les langues, dans tous les styles, à l’encre, au pinceau, au stylo, “le monde va mal et vous aussi vous allez mal” nous disent-ils tous les matins “et nous sommes payés pour vous le dire, nous sommes payés pour vous dire que nous sommes heureux de savoir que vous savez lire, nous sommes heureux de savoir que vous avez encore les moyens de vous acheter un journal, nous sommes étonnés de voir que vous existez encore, dans un monde qui va aussi mal, comment vous faites ?

Nous même les êtres supérieurs, nous avons du mal, de plus en plus de mal à écrire sur vous, sur votre vie de merde, sur vos salaires minables et vos dirigeants que nous par ailleurs nous trouvons très sympathiques, mais vous c’est normal, vous ne les aimez pas car contrairement à nous, ils ne vous invitent pas, ils ne vous offrent rien, ils n’interviennent jamais pour vous quand vous êtes arrêtés pour conduite en état d’ivresse ou quand vous voulez un visa, on vous comprend mais en réalité on s’en fout, on vous aide déjà beaucoup en parlant de vous, en faisant savoir au monde entier que vous êtes un peuple d’incapables, un peuple qui n’a rien accompli, un peuple qui se résume à une caricature d’un humour douteux.”

Il serait tant de penser à d’autres êtres supérieurs aux supérieurs, des êtres qui créeront le journal des journaux, un journal qui parlerait de la difficulté d’être heureux, de l’impossibilité de continuer à parler des sujets qui fâchent, de la contrainte d’abandonner son train de vie agréable pour se pencher sur le marasme des autres, cette souffrance de devoir mentir, de se mentir, de jouer aux êtres torturés quand on ne l’est pas, de faire semblant de compassion pour un peuple qui achète encore de l’eau potable dans des camions citernes, quand on ne boit que du vin, de penser aux femmes, aux enfants, de se faire violence tous les matins pour faire un état des lieux qu’on ne ne connait pas, parler d’un pays où on ne vit plus, raconter un combat que l’on a jamais mené, parler de l’informel quand on le pratique ouvertement, parler des passes droits quand on brandit sa carte de presse comme on brandit un flingue.

Oui il faut le créer ce journal qui vous prendrait en considération, qui dirait que vous êtes beaux, que vous êtes intelligents, que vous êtes riches et que vous le cachez bien, que vous ne pensez pas ce que vous dites, que vous faites de faux témoignages, de faux reportages, de faux semblants dans un faux pays qui ne vous ressemble pas, un pays que vous détestez car vous êtes faits pour vivre ailleurs, car vous êtes trop bien pour nous, oui on va vous le créer votre journal, pour votre ego, pour votre équilibre, pour votre abnégation et votre sens du devoir envers vous même, pour votre grand engagement à raconter l’histoire quotidienne d’un peuple que vous dénigrez, d’un gouvernement que vous faites très bien semblant de détester, l’histoire de femmes qui n’existent pas car vous n’en parlez pas, d’une religion que vous ne transgressez jamais par écrit… car les écrits restent, d’un pays imaginaire que vous avez crée dans vos titres superficiels et surréels.

Bien sur il ne faut pas généraliser, mais nous aussi le peuple on ne demande que cela, il ne faut pas généraliser, mais vous n’avez rien voulu comprendre, par votre manière de nous parler, de nous considérer comme des abrutis, comme des sous-doués irrécupérables, vous nous parlez comme si vous étiez une poignée d’illuminés qui n’ont qu’un rêve, changer de peuple… Mais ce peuple c’est aussi moi et c’est mes compatriotes et de temps en temps nous aussi on a ras le bol de nous lever le matin, d’acheter les journaux et de nous dire : “Pour qui ils nous prennent?…”

Algérie quand tu nous tiens !

© Amina MEKAHLI