Je suis algérienne mais je me soigne

Le champ politique en Algérie est devenu un champ de quolibets, qui poussent en lieu et place du débat, du programme, du discours. Un mot, une phrase, un faux pas et voilà l’affaire faite, alimentant les discussions pendant quelques jours. Les partis politiques ont tous une effigie : un instrument de musique, un pot de yaourt, une bouteille de vin, une autoroute, un costume manches courtes, un livre de chevet  et un livre saint.

On prend les mêmes et on recommence.

Qui est conservateur ? Qui est progressiste ? Qui est islamiste ? Qui ne l’est pas ? Quels sont les programmes ? Le nombre d’élus ? Le nombre de portefeuilles ? Qui aime qui ? Qui s’allie avec qui ? Pour quel avenir ?

Les réponses attendent chaque jour, quelques caricatures blasées et quelques chroniques réchauffées et resservies au goût de l’actualité. On prend les mêmes et on recommence. Les mêmes mots, les mêmes jeux de mots, les mêmes absences totales d’analyse. Quelques gros titres racoleurs, des insultes assaisonnées de quelques citations à comparaître, des faits divers et des règlements de compte.

Tout est médiatisé en apparence, tout est dit, tout est transparent et opaque. La chasse au scoop est devenue la chasse à la sensation, à l’humour glauque, à la victimisation et au déni. Tout le monde sait tout sur tout le monde. Personne ne sait rien. Et entre les inepties, les fausses rumeurs, les vraies calomnies, les fumées sans feu, les feux sans fumée.

Tout le monde se retrouve et se perd. Tout le monde se hait et se congratule par intermittence. La vérité est toujours chuchotée, puis colportée, puis mise entre des mains sûres, puis démentie, puis réhabilitée avant d’être vite oubliée.

Le champ politique est devenu une affaire de sous-titres, de libellés, de guillemets, de sources opaques, de vanités intellectuelles, de sous-entendus, de malentendus, de prémonitions, de pressentiments et de hasard …

Qui sont tes élus ? Qui sont tes dirigeants locaux ? Quel est le programme de ta commune ? Autant de questions qui restent sans intérêt pour le citoyen. Il cherche lui aussi le sensationnel, l’argent détourné, il connaît les abysses du pouvoir, il les devine, il fait de l’anticipation, des pronostics. Un peuple de visionnaires éclairés. Avec des « si moi … » tout est résolu en un clic. Tout le monde a la solution. Il faut juste trouver le problème. La chasse au problème est un sport national.

L’algérien est un passé

L’Algérien est un passé de plus en plus lointain, il va chercher aujourd’hui sa gloire aussi loin que possible, il trouvera un ascendant vaillant et valeureux pour laver sa déchéance. Il trouvera des tribus inconnues au bataillon à te servir en guise de faire valoir imparable. Mes ancêtres sont mieux que les tiens, toujours. L’Algérien est une victime incurable du passé. Sa gloire de victime est son histoire. Il cultive les bribes de son passé, il les soigne, les entretient, les offre au premier venu, enveloppés de fierté et de nostalgie. Quelques larmes souvent sacralisent ces instants de partage.

L’algérien est un futur

L’Algérien est un futur. L’avenir de la planète le préoccupe. Les problèmes énergétiques des siècles à venir le préoccupent. L’avenir de ses arrières petits-enfants le préoccupe. Tout Algérien peut te faire une conférence à lui tout seul sur le gaz de schiste, sur la disparition imminente du pétrole, sur l’avenir des énergies renouvelables, sur l’avenir de son avenir.
Mais son présent est un enfer.

Tiraillé entre ses ancêtres et ses arrières petits-enfants qui viendront un jour lui demander des comptes, il attend. En position d’attente prolongée, il s’invente l’humour, noir de préférence. Tout est cynique pour lui. Tout est dérisoire est joué d’avance. Les dés sont jetés, les dés sont pipés dit-il sans jouer.

Le monde n’est pas l’Algérie et l’Algérie n’est pas le monde.

Le monde est en marche. Le monde va mal. Le monde fonctionne sans nous. De grandes phrases, de grands slogans, de grandes décisions immobiles, de grandes gueules pour des bras courts, de plus en plus courts. Le monde n’est pas l’Algérie et l’Algérie n’est pas le monde. Des cas particuliers, uniques, refont le monde. Quant à leur pays, il est fait sans eux. Personne ne leur demande leur avis, si seulement quelqu’un pensait à leur demander leur avis … Soupirs !

Les élus locaux ? Des incapables. Les chefs d’entreprises ? Des voleurs. Les gouvernants ? Des marionnettes. Les intellectuels ? Ils sont tous morts, les vrais. Les artistes ? L’art c’était avant. Les étudiants ? Tous des analphabètes bilingues. Et la liste deviendrait interminable, de ces réponses blasées de suffisance et d’amertume. De ces litanies obsédantes. Un mélange de désespoir, de fatalisme et de paresse.

Mais qui travaille en Algérie en fait ? Qui s’occupe de tout pendant que tu traines ta mal-vie ? Qui milite, qui avance, qui s’implique pendant que tu enseignes tes prophéties dans les cafés maures et les salons ? Mystère d’une Algérie mal aimée et vénérée. Mystère d’une Algérie de toutes les contradictions et de toutes les inepties. Tout est perdu disent les uns. Tout est magique disent les mêmes uns. Ainsi nous sommes, remettant à plus tard l’occasion de nous retrousser les manches … Ainsi nous sommes fiers et démotivés, déterminés et attentistes, révolutionnaires et pacifiques.

Moi aussi comme vous chers compatriotes je suis algérienne,

Mais je ne me soigne pas…

 

© Amina Mekahli

Vous avez aimé le texte ? Alors laissez un commentaire juste au-dessous ↓

commentaires

Laisser un commentaire