Le journal d’une lectrice (de journaux) pas très stupide

Un pays, des journaux, des langues, des plumes et des menteurs. La culture une impression, la vérité un vieux souvenir de vacances et la politique une science occulte. Que pensez vous de la science fiction ? me demande-t-on. La même chose que vous pensez vous de votre réalité je baigne dedans. Les sociétés secrètes, les manifestations de l’étrange, les morts qui parlent, les clones, les êtres vivants sans passé, et leurs ennemis, les êtres vivants dans leur passé,  une guerre impitoyable, des effets spéciaux, des morts, des disparus, et un désert, un grand désert comme prison (ceci est un résumé d’un grand discours).

Dans ce brouillard cependant des témoins, des êtres supérieurs qui ont décidé de décrire ce monde parallèle aux autres mondes, des êtres qui ont compris, planqués dans des cachettes secrètes, ils écrivent l’histoire. Des êtres supérieurs appelés LES JOURNALISTES.

Leur mission est grande, leur message est interplanétaire, il doivent le diffuser, ils doivent dire qu’ils ont été là, ils doivent dire qu’ils ont vu, ils ont vu les morts parler, ils ont vu les morts changer d’avis, ils ont vu les morts mentir aux vivants, et les vivants mentir au monde. Ces êtres supérieurs sont dotés d’une intelligence artificielle, d’une maîtrise de la langue du dictionnaire et d’une grande culture appelée Google, ils sont surhumains, ils ont une grande faculté de cliquer, un don surnaturel dont eux seuls sont dotés et qui fait d’eux les témoins sacrés d’une révolution annoncée.

Leur vie est difficile, ils jonglent entre leurs intérêts personnels et leurs intérêts personnels, il leur est difficile de choisir et pourtant ils sont forts et finissent pas choisir à contre cœur leurs intérêts personnels. C’est pour leur grande capacité à trancher, à prendre une décision, qu’ils sont désignés pour leur grande mission sacrée.

Leur portrait est facile à dépeindre,gueule de bois,langue de bois,et une grande mal-vie,un grand malaise,un grand discours,enfin tout est grand dans le monde des grands témoins de l’histoire quotidienne.

“Le monde va mal” est leur principal sujet décliné dans toutes les langues, dans tous les styles, à l’encre, au pinceau, au stylo, “le monde va mal et vous aussi vous allez mal” nous disent-ils tous les matins “et nous sommes payés pour vous le dire, nous sommes payés pour vous dire que nous sommes heureux de savoir que vous savez lire, nous sommes heureux de savoir que vous avez encore les moyens de vous acheter un journal, nous sommes étonnés de voir que vous existez encore, dans un monde qui va aussi mal, comment vous faites ?

Nous même les êtres supérieurs, nous avons du mal, de plus en plus de mal à écrire sur vous, sur votre vie de merde, sur vos salaires minables et vos dirigeants que nous par ailleurs nous trouvons très sympathiques, mais vous c’est normal, vous ne les aimez pas car contrairement à nous, ils ne vous invitent pas, ils ne vous offrent rien, ils n’interviennent jamais pour vous quand vous êtes arrêtés pour conduite en état d’ivresse ou quand vous voulez un visa, on vous comprend mais en réalité on s’en fout, on vous aide déjà beaucoup en parlant de vous, en faisant savoir au monde entier que vous êtes un peuple d’incapables, un peuple qui n’a rien accompli, un peuple qui se résume à une caricature d’un humour douteux.”

Il serait tant de penser à d’autres êtres supérieurs aux supérieurs, des êtres qui créeront le journal des journaux, un journal qui parlerait de la difficulté d’être heureux, de l’impossibilité de continuer à parler des sujets qui fâchent, de la contrainte d’abandonner son train de vie agréable pour se pencher sur le marasme des autres, cette souffrance de devoir mentir, de se mentir, de jouer aux êtres torturés quand on ne l’est pas, de faire semblant de compassion pour un peuple qui achète encore de l’eau potable dans des camions citernes, quand on ne boit que du vin, de penser aux femmes, aux enfants, de se faire violence tous les matins pour faire un état des lieux qu’on ne ne connait pas, parler d’un pays où on ne vit plus, raconter un combat que l’on a jamais mené, parler de l’informel quand on le pratique ouvertement, parler des passes droits quand on brandit sa carte de presse comme on brandit un flingue.

Oui il faut le créer ce journal qui vous prendrait en considération, qui dirait que vous êtes beaux, que vous êtes intelligents, que vous êtes riches et que vous le cachez bien, que vous ne pensez pas ce que vous dites, que vous faites de faux témoignages, de faux reportages, de faux semblants dans un faux pays qui ne vous ressemble pas, un pays que vous détestez car vous êtes faits pour vivre ailleurs, car vous êtes trop bien pour nous, oui on va vous le créer votre journal, pour votre ego, pour votre équilibre, pour votre abnégation et votre sens du devoir envers vous même, pour votre grand engagement à raconter l’histoire quotidienne d’un peuple que vous dénigrez, d’un gouvernement que vous faites très bien semblant de détester, l’histoire de femmes qui n’existent pas car vous n’en parlez pas, d’une religion que vous ne transgressez jamais par écrit… car les écrits restent, d’un pays imaginaire que vous avez crée dans vos titres superficiels et surréels.

Bien sur il ne faut pas généraliser, mais nous aussi le peuple on ne demande que cela, il ne faut pas généraliser, mais vous n’avez rien voulu comprendre, par votre manière de nous parler, de nous considérer comme des abrutis, comme des sous-doués irrécupérables, vous nous parlez comme si vous étiez une poignée d’illuminés qui n’ont qu’un rêve, changer de peuple… Mais ce peuple c’est aussi moi et c’est mes compatriotes et de temps en temps nous aussi on a ras le bol de nous lever le matin, d’acheter les journaux et de nous dire : “Pour qui ils nous prennent?…”

Algérie quand tu nous tiens !

© Amina MEKAHLI

Vous avez aimé le texte ? Alors laissez un commentaire juste au-dessous ↓

commentaires

Alliée Nation

Ils marchaient les bras levés
vers l’astre rouge palissant
comme une horde de dévots
qui priaient leur vertu
pour serrer dans son saint
leurs misères échappées.
Leurs jeunes têtes baissées
regardaient se tracer
le chemin effacé
que leur pas fatigué
dans leur âme creusait
par une nuit sans reflet.
Ils s’arrêtaient au puits
la soif dans les guenilles
pour tremper leur survie
dans l’eau trouble de vie
à la source maudite
d’un territoire banni.
Ils buvaient les mains levées
trinquaient à l’astre éteint
comme une horde d’impies
qui fuyaient leur salut
pour serrer dans son vin
leurs misères retrouvées.
Ils marchaient et buvaient
s’arrêtaient pour prier
il priaient et cherchaient
un verre sur un tapis
un tapis dans un verre
un Dieu dans leur coeur
et leur coeur partout
sans trouver pour chemin
qu’un vieux sentier battu…

© Amina MEKAHLI

Vous avez aimé le texte ? Alors laissez un commentaire juste au-dessous ↓

commentaires

Un train pour mille ans

S’il faut mille ans de plus
pour atteindre hier
le tirer en carrosse
et en faire un instant
repeint de prières
et cousu de fil blanc.

S’il faut mille ans encore
de doutes et d’envol
par dessus le présent
qui s’inscrit sur le flan
d’une rivière asséchée
de son cours d’antan.

S’il faut mille ans et puis
un an et puis
un jour et tant pis
pour regarder d’ici
le lointain disparu
revenir à la vie.

Mais mille ans c’est dit
mille ans c’est petit
pour un ange déchu
et une âme perdue
dans le cours asséché
d’une rivière disparue.

S’il faut une heure de plus
pour rattraper le train
qui s’en va vers demain
mille bonbons à la main
et mille baisers en chemin
aux voyageurs du destin.

S’il faut une minute et puis
une minute c’est assez
pour croire aux étoiles
et sourire aux tortues
qui sous leur carapace
se moquent de la vie.

© Amina MEKAHLI

Vous avez aimé le texte ? Alors laissez un commentaire juste au-dessous ↓

commentaires

Enfant bleu

Les deux pieds fatigués
s’enlisent doucement
dans le sable glacé
d’un rivage incertain.
La vague silencieuse
essuie de ses bras
mous
les petits châteaux
bleus
qui s’accrochent
maladroits
au rayon malicieux
du soleil qui s’en va,
comme un collier
de cailloux
que l’eau cruellement
en silence
dissout.
L’enfant rebâtira
son domaine
perdu
à l’abri du rivage
dans un monde
secret
à l’orée
d’une forêt
bleue.

© Amina MEKAHLI

Vous avez aimé le texte ? Alors laissez un commentaire juste au-dessous ↓

commentaires