La prophétie de la bergère

Elle m’a appris des mots
trop grands pour ma bouche
et des chansons tristes
qui me font encore pleurer.
Ses mains noueuses sur moi
elle me parlait de disparus
et elle avait disait-elle
un soleil pour elle seule
elle n’avait pour tout métier
que l’amour de ses bêtes
La bergère.
Je l’ai croisée un jour de peine
quand je fouillais les chemins
à la recherche de mon idée
sur le bonheur des gens perdus.
Elle ne m’offrit pour tout abri
qu’un sourire qui vieillissait
et quelques dattes desséchées,
sa chaumière était le luxe
qu’elle offrait à ses amies
des brebis qui allaitaient.
La bergère.
Elle me dit un jour de pluie
que ma vie était ratée
mon chemin s’il était droit
n’aurait jamais croisé sa vue.
Sa tendresse était entière
mais point d’homme n’en goûtait
elle portait sa bouche fripée
à celle goulue de ses agnelles
en leur passant ses doigts crochus
sur leur toison immaculée.
La bergère.
Elle m’apprit sans me parler
qu’elle n’avait rien à raconter
elle riait de ses yeux jaunes
de mes histoires du passé
et un jour elle dit la prophétie
qu’à ce jour encore je n’oublie,
Tu es une âme comme mes brebis
jusqu’au jour de la mort, de ces rares
bouches qui t’évoquent dans la nuit,
alors comme elle tu seras poussière qui n’a jamais existé…
La bergère.

© Amina MEKAHLI

Gazelle de minuit

Paroles d’une raison qui suffoque
Entre les cuisses et le guerrier
La poule oublie ses oeufs souvent
Sous des billets abandonnés
Que tu dédies à ses enfants
Le temps d’une gloire réinventée

Entre maltraitance et cécité
Toi le borgne aveugle au pays des sens
Danseur de bombance impuissante
Tu te regardes dans l’alouette de nuit

Misère de toi que tu offres au rabais
En achetant une enfance décapitée
Au marché des bréves roucoulades
Ventru au coeur vide tu exhibes au noir
Ta fantaisie sous les lumiéres du non-dit

Malheur de toi tu vantes tes mille et une nuit
Du plus offrant qui t’es passé sous le pied
Comme une Déesse aux lendemains enivrés
Quand tu bois du noir en tendant ta vertu
Au palais sans langue qui te feras rutiler

Ne pleures-tu jamais les vierges mortes
Entre une cuvette et un apprenti sorcier?
Paroles d’un blanc négoce de paillettes
Mis en air d’un opéra de troubadours
Et de musique de délits en percussions

Les loups et les gazelles s’empoignent
Dans des lambeaux de tristesse sans folie
L’amour est mort souvent dans l’idée
Et le rêve ressuscite l’âme des débris
En figeant le rire édenté des morsures
Dans le pain blanc des mal-nourries

Coupable je vous tiens par la barbichette
Et je m’en vais vous laissant boire la tragédie
D’une nuit semblable aux jours des décriées
Une nuit que j’invente pour vous dormir dessus

Pleurant ou chantant avec vous aveuglée
Sourde et sans bâton pour casser le silence
Des vendeuses de chair aux enchères de minuit
Tam-tam m’entends-tu? taper aux portes closes
Du mausolée d’une vierge morte et embaumée.

© Amina MEKAHLI

Ils pleurent aussi les écorchés du temps malade

Les lèvres déposées au bas du dernier mot
et les yeux accrochés au souffle de l’écho
dans l’ultime déraison d’un bruit à l’unisson
battant une chamade sur un cœur en sanglots

Les paupières s’ouvriront sur une grisaille de chaines
métal froid sans reflet d’un lien nu qui s’enfuit
entre un tronc périssant et une racine morte
depuis la nuit des vents la nuit des sans soupirs

Ils pleurent ainsi les écorchés du temps malade
Ils pleurent comme nous les écorchés malades

Ils pleurent leur peau les écorchés de la peau.

Es-tu dans ma peau pour me faire humer la vie
et je bouge mon coeur pour te faire de la place
à coté de cet air qui chante ma dérobade
si prés de mon âme qu’en bougent les sentiers.

Ils pleurent aussi les écorchés du temps malade.

Je me lèverai demain soigner les plaies de l’heure
bander les deux aiguilles qui percent la nuit figée
et saignent l’instant fuyant de leur flèches ennuyées
laissant ce rouge sécher sur une rose flagellée.

Ils saignent ainsi les écorchés du temps blessé
Ils saignent comme nous les écorchés blessés.

Ils pleurent dans leurs coeurs les écorchés de la tête.
Ils pleurent aussi les écorchés du temps malade.
Ils pleurent aussi.
Ils pleurent.

© Amina MEKAHLI

Volutes de chimères

Les yeux mourants d’orgueil
Ne voient plus les oiseaux bleus
Ni les pétales d’une rose unique
Qui tombent du livre de l’éternité.

Et les mains trop occupées
A emballer le temps perdu
Laissent passer cette occasion
De caresser les âmes en vie.

Les cheveux tombés à terre
Laissent l’esprit à ses regrets
Emportant la beauté tiède
Au paradis des aigles épris.

Quand la bouche se referme
Sur un sourire à l’inconnu
Et sur les rêves d’une dernière pluie
Pour rafraîchir l’instant volé.

Les yeux mourants d’attente
Se referment sur un ciel blanc
Colombe tombée du coeur
De l’enfant qui a appris.

© Amina MEKAHLI