Où se cache la tendresse ? Sous le jujubier ?

Où se cache la tendresse quand tout est édulcoré ?
Dans la mémoire des rochers traversant les siècles
Sous ces vagues venues du froid qui s’abattent sur le temps
Sur ce radeau qui s’épuise sous quelques corps en vie

Où se cache la tendresse quand tout ressemble à ce qui fuit
Quand le soleil se jette sous la robe déchirée de la mer
Et que les étoiles s’éparpillent dans des yeux sans paupières
Que les sons des fleurs composent la musique des poissons ?

Où se cache la tendresse quand l’esprit perd la clé de la folie ?
Entre les dents qui grincent en serrant une langue inconsciente
Dans des mains qui se serrent sur le vide d’un vase renversé
Sous le ventre encore tiède d’une âme qui a retrouvé ses ailes

Où se cache la tendresse quand l’habitude trompe le sursaut
Et que la peau ressemble à des faubourgs désaffectés sous les bombes
Quand la honte se sent coupable d’avoir dévoré les nuages et le ciel
Quand les sourires se posent sur le rebord d’un cœur comme un colis piégé ?

Où se cache la tendresse le sais-tu ? Toi qui cherches la sortie ?
Dans ce labyrinthe de mots appris parce que l’enfance s’est souvenue
Dans cette boite rouillée qui enferme les petits cailloux et les brins d’amour
Dans cette boule de cristal qui dessine ces mondes heureux dans les forêts oubliées ?

Où se cache la tendresse ? Sous le jujubier ?

© Amina MEKAHLI

Il neige sur la promesse

Il neige sur la promesse
Ce soir de grand retour
Les yeux ne savent plus
Couper l’émoi en deux
Il vente sur l’indécence
Ce matin de ferveur
La peau ne parle plus
Le langage des ciseaux
La glace se faufile
En douce sous les cailloux
Sur la falaise grise
Sur la cime des mots
La langue caresse la dent
Qui se casse de vieillesse
Ecorchant les syllabes
D’un ver qui se confond
Au loin à l’horizon
Aux fleurs sur les tables
Diner autour de toi
Les chandelles le savent
La romance est de trop
Quand l’histoire recommence.

© Amina MEKAHLI

Les petits bateaux en papier (4)

Et puis le corps se souvient, et puis le corps se rendort, le corps rêve aussi, les bras ouverts sur l’horizon, les yeux fermés sur les caresses revenues, les caresses désordonnées, débridées, volées, usurpées, arrachées, arrachées au temps, au néant, au printemps, et puis le corps se souvient, et puis le corps revient sur les baisers interrompus,sur les baisers qui stagnent, qui végètent, les baisers fossiles, préhistoriques, les baisers de l’âge de pierre, les baisers et les millions d’années, les millions de cellules mortes d’avoir trop attendu, le corps se souvient encore, car la bouche est un roman mal refermé, le polar du crime parfait, un recueil de lèvres humides, un conte de bruits inaudibles, la bouche est le cimetière de l’ineffable, le terminus de l’indicible, tout le mot descend, et le mot décent, des cents et des milles de choses à redire, un jour de printemps, un jour de mémoire, et puis le corps se souvient, et les seins oublient, les seins n’ont pas de remords, les seins avancent vers la fin du jour, comme des soleils affairés à éclairer les ténèbres de l’absence, les seins recommencent, sans répit, ils nourrissent le monde, l’univers, le cosmos, les seins sont des météorites qui voyagent contre la gravité, contre le temps, les seins bouleversent l’ordre des fleurs, l’ordre des papillons gelés par la pluie, les seins inventent les papilles, les seins ont inventé le sens du goût, et puis le corps se souvient, et puis le corps se réveille, les oreilles tendues à l’appel des interdits, des barrières et des feux, à l’appel d’une voix, rauque et incertaine, grave et légère dans le vent, à l’appel du silence coupable, le corps se souvient, et puis il rougit, sa peau rougit, car le corps a sauvé sa peau, le corps s’en est tiré, des histoires à deux balles, de la préhistoire, de l’âge de pierre, et ses yeux sans pudeur, s’ouvrent sur le jour, s’ouvrent sur la ferveur, scrutent au loin, sur un quai de fortune, un quai large comme un front en sueur, l’arrivée d’un bateau, d’un petit bateau en papier…

© Amina MEKAHLI

Les petits bateaux en papier (3)

Je regarde mes petits bateaux en papier, trembler sur le bord des larmes, les mots sur le papier disparaissent, l’encre coule comme le sang qui revient, et je regarde sous ces mots, ces moments que tu as voulu éternels, car tu t’es voulu unique, ces moments que tu as voulu magiques car tu t’es voulu prestidigitateur en me frôlant le cœur, en l’ouvrant avec tes doigts acérés, en l’ouvrant avec tes dents blanches de prédateur fatigué, tu as ouvert mon cœur avec tes certitudes voilées, avec tes gestes maladroits, avec les phrases que tu ne finissais jamais, tu as ouvert mon cœur oui, avec la clé que tu m’avais volée, mais tu l’as refermé aussi, recousu avec tes dents blanches, soudé avec le fer de l’esclave que j’étais, plombé avec un pan du ciel, mon cœur, tu l’as enseveli sous la neige du pôle nord, où je suis venue le chercher, sous la glace de l’indifférence, sous le froid du monde, sous l’inquiétude des tempêtes de neige, oui je l’ai trouvé, enveloppé dans de vielles lettres,jaunies, malades, écrites comme des destins, des lettres sans nom, interminables, éternelles, des mots venus de partout, au secours du refus, des mots en renfort, des mots solidaires de la vie qui s’arrête, des lettres mouillées de sève, d’élixirs,de salive et de sueur, des lettres drôles, comme la vie, car la vie est hilarante, la vie rit et se consume, la vie éclate de rire dans les glaciers morts, et le soleil la regarde, le soleil l’attend, et quand enfin il se couche, et que ton souvenir s’éloigne vers la lune, ou vers les étoiles, et qu’il est mangé par les monstres de la langueur, les ogres du manque, les loups des forêts noires comme des idées, je regarde mes petits bateaux, et ce n’est plus toi que je vois, ce n’est plus ton ombre bleue qui m’étrangle avec ses cordes de promesses, qui m’étouffe avec ses grands airs, je vois la vie qui dessine en tremblant, un cœur, un cœur qui se remet à battre sur le pôle, je vois le monde qui ne danse plus sous tes pas inventés, je vois la terre qui tourne dans le bon sens, je vois la terre qui t’oublie déjà, je regarde mes bateaux en papier, et je me vois, libre comme un oursin, heureuse comme une marmotte, légère comme une araignée, je me vois flottant déjà avec les voiles de l’amour sous le vent, le vent venu du pays des créatures…

© Amina MEKAHLI