Petites histoires sans conséquences. Le petit garçon et la mer.

Petites histoires sans conséquences.

Le petit garçon et la mer.

A seize ans le voilà échoué sur une plage. Un corps seulement un corps. Enroulé dans du plastique, jeté par la mer. Jeté par le sort. Jeté par le rêve.
Il a quitté sa famille, son pays, sa terre. Il a quitté le soleil et les ancêtres. Il a quitté la guerre d’Algérie et son histoire, ses historiens. Il a quitté la politique qu’il ne comprend pas d’ailleurs. Il a quitté l’école, là aussi il n’a rien compris. Il a traîné sur ses bancs, défoncé à la colle depuis l’âge de huit ans. Il a traîné devant une maîtresse qui des comme lui en a des dizaines. Des drogués dans les quartiers défavorisés, sont nombreux. Avec leur sac de colle au vu et au su de tout le monde. Personne ne les regarde plus. Ils font partie du décor de la ville.
Chez lui son père est parti. Il a abandonné. Je n’en peux plus leur dit-il, avant de s’en aller. Fatigué de les avoir mis au monde, et de devoir se lever tôt, travailler, rentrer avec un peu de nourriture qui ne suffit plus.
Alors lui est ses frères ont commencé à travailler à l’âge de six ans. Ils ont commencé à vendre des petits sacs en plastique dans les marchés du bidonville où ils habitent. Quelques dinars dans les poches, ils attendaient la nuit tombée. Ils ramassent les légumes tombés des chariots, ils ramassent tout ce qu’ils trouvent. Puis la nuit tombée parfois il sont éloignés de chez eux, et les transports manquent. Alors ils marchent en petits groupes d’enfants joyeux et rieurs. Et le danger de la nuit advient, parfois, souvent. Ils se font agresser, voler leur maigre recette de la journée. Ils se font violer, ils se font séquestrer même.
Lui a six ans il s’est fait séquestré par un vieux pervers. Ses amis sont allés prévenir ses parents. Son père n’est plus là, son père est fatigué alors il est parti, loin pas très loin. Il est parti se reposer de ses enfants qu’il a mis au monde. Alors on le dit à la mère, la pauvre mère qui ne sait pas quoi faire dans la nuit. Elle ne peut sortir et laisser ses enfants tous petits qui dorment dans la pièce unique. Elle ne peut sortir car elle a peur de la nuit. Mais elle pense à ce fils de six ans, parti travailler en ce jour de vendredi car il n’a pas école. Ce fils parti travailler à la place du père fatigué.
Elle sort dans la rue avec une grande couverture sur la tête, il fait froid et la couverture est un moyen de défense, se protéger des coups de couteaux disent-ils.
Elle frappe chez ses voisins, dans le bidonville, les voisins sont solidaires. Elle pleure et leur dit que son fils de six ans est séquestré. Ils attendent le matin. Ils vont à la brigade, ainsi disent-ils, pour toutes les forces de l’ordre, la brigade.
Leur plainte est enregistrée. Mais le temps presse, et la mère armée de courage et d’instinct empoigne ses autres enfants et avec quelques voisins va libérer son petit…
L’école encore, les bancs de l’école. La maîtresse n’a pas le temps pour ces histoires, elle n’a pas le temps d’écouter les problèmes des autres. Elle a les siens, nombreux indissolubles. Alors elle fait semblant de ne rien voir.
Les jeunes garçons continuent leur petite vie. L’école au fond de la classe pour dormir au chaud, le petit goûter de la cantine scolaire. Et la cour de récréation pour faire leurs petites affaires.
La rue arrive à la sortie d’école. Lui, sa mère n’est jamais à la maison, elle fait des ménages et ne rentre que la nuit. Ses sœurs plus ou moins plus grandes que lui ont quitté l’école, elles font les ménages aussi, d’abord avec la mère, puis toutes seules.
Alors il dépose son cartable et son tablier dans une petite cachette et s’invente une vie.
La rue est pleine de belles choses. Il suit ses copains plus âgés et ensemble ils décident d’aller toujours un peu plus loin dans la ville. Ils gardent des voitures, vendent des sachets, aident les commerçants à porter des cartons, sortent des poubelles, les fouillent et récupèrent des bouteilles en plastique qu’ils revendent. Parfois ils trouvent quelques objets en bon état. La rue regorge d’argent pour leurs yeux d’enfants.
Il achètent des friandises, puis de temps en temps ramènent la nourriture qui leur reste à la maison.
Lui sa mère l’oublie presque. Elle a d’autres enfants plus jeunes que lui. Elle a d’autres enfants plus âgés que lui. Qui ont quitté l’école, qui errent dans les rues.
Sa mère est souvent à la brigade. Les voisins s’en foutent. Tout le monde s’en fout.
La colle cela fait du bien. Puis des cachets ils appellent cela. Et puis il en prend et il en revend, cela rapporte de l’argent et il est mineur il n’ira pas en prison.
Et un jour on lui donne un couteau, et on l’envoie à la pharmacie, tiens va acheter et si elle te dit non, montre-lui le couteau. Il le fait.

La pharmacienne n’a pas peur de lui. Elle le désarme et l’enferme dans sa remise, elle appelle la brigade. Elle est pharmacienne, alors la brigade l’écoute. Il est arrêté. Maison de correction. Il a huit ans.
Sa mère fait ce qu’elle peut. Elle vient le voir parfois, lui ramène des bananes et du lait en poudre. Lui veut des cigarettes. Dans la maison de redressement il a appris à fumer.
Et un jour sa mère apprend qu’il a fait le mur. Il s’est échappé. Elle le cherche pendant des jours et des nuits. Ses jeunes agrippés à sa couverture de survie. Elle erre dans les rues, demande, rien.
Puis un soir il revient, il est fébrile et a les yeux rouges. Amaigri et bizarre. Sa mère ouvre la porte, il tombe dans ses bras. C’est son enfant, alors elle pleure un peu.
Il dort, puis se réveille, fait des cauchemars. Bientôt d’autres jeunes de son âge viendront frapper chez la mère. Ils demandent leur argent. Il a volé, de tout, des téléphones, des chaussures …
Elle l’enferme dans la maison, mais il fuit à la recherche de ses drogues, puis revient apeuré, affaibli. Un jour elle achète une chaîne et un cadenas. Elle l’attache. Elle doit aller travailler. Ses petits ont faim.
Elle dépose plainte contre lui, la brigade tarde à venir. Elle ne viendra pas.
Elle veut le désintoxiquer, frappe à toutes les portes, essaye. Puis un jour quelqu’un vient la voir, un chef de gang, un vrai.
Donne le moi, je vais le faire travailler. Elle le libère et le lui donne. Elle pleure un peu. Mais elle n’en peut plus de lui. Comme ses autres frères, il sera mieux dans la rue.
Et un matin sa fille aînée l’appelle, elle la mère est occupée, elle est toujours occupée. Son fils est arrivée chez elle dans son village loin, très loin. Il est bouleversé, il a été violé. Il connaît ses agresseurs. Il demande de l’aide à sa sœur, sa grande sœur. Mais sa sœur a un mari et une belle-mère. Elle a honte, elle cache. Elle lui donne de l’argent et lui demande de repartir. Il lui vole ses quelques bijoux et s’en va.
La mère connaît les agresseurs. Mais elle a peur des représailles, alors elle ne dit rien, elle continue à faire semblant de vivre. Elle fait ses ménages, elle s’occupe comme elle peut des ses trois filles, qui font le ménage ou autre chose, elle ferme les yeux. Elle n’en peut plus. Elle ne peut plus voir. Il faut manger, dormir, continuer.
Son autre fils a six ans, il rentre à l’école lui aussi, il aime la colle lui aussi. L’autre soir elle était dans la rue à le chercher. Il a fait une fugue dit-elle, il n’est pas revenu.
Lui a quinze ans il travaille au port, au noir. Il décharge et fait de menus travaux. Il se débrouille, a ses cigarettes et ses drogues. Il se prostitue souvent sur les bateaux. Il se fait de l’argent sans se regarder dans le miroir. On est venu lui dire que son frère de six ans a disparu. Alors il sait le trouver mais il ne fait rien, il s’en fout. Laissez-le et laissez-moi, dit-il.
Il regarde la mer souvent. Il regarde les voyageurs et leurs bagages. Il regarde l’opulence, les voitures rutilantes, il regarde les jeunes partir. Parfois l’un d’eux l’appelle, il est arrivé à bon port dans le paradis. Parfois l’un d’eux est repêché mort. Parfois ils reviennent avec les gardes-cotes qui les présentent devant le tains font de la prison, d’autres sont relâchés.
Qu’importe, tout le monde s’en fout. La prison ou la rue c’est pareil. La drogue, la faim, le froid et le viol. Les armes pour se défendre, la solidarité et la protection des gangs. Il le sait assis devant la mer. Il n’a plus rien à perdre. Il pense parfois à sa petite sœur la dernière. Elle est bonne élève, il sourit et se dit elle n’a que six ans encore.
Il le sait, rien ne changera. Elle fera les ménages ou autre chose. Elle se fera accompagner par de belles voitures et ramènera de la viande à sa mère. Un jour elle lui ramènera un téléviseur ou un climatiseur. La mère est toujours contente, ses filles ont réussi. Ses fils sont des bons à rien.
Il regarde la mer et la mer l’appelle. Il partira demain. C’est prévu. Il a tout prévu. Il connaît le bateau comme sa poche. Il montera se faire aimer par son marin qui sent mauvais. Il montera sur le bateau, mais il ne redescendra plus en enfer. Le paradis il le sait est de l’autre côté de la mer.
Ce matin sa mère est appelée pour le reconnaître à la morgue. Son pére est toujours fatigué, il ne vient pas où il ne le sait pas.

Son visage d’enfantest beau. La mer ne lui a pas fait de mal. Elle l’a caressé lentement jusqu’au rivage. Elle l’a rendu à son enfer. Mort à seize ans. Un petit garçon et la mer.

©Amina MEKAHLI.

« Oh, la grandeur ! Oh […] je ne parle pas de la grandeur grossie, enflée, fausse. Je ne parle pas de l’orgueil ou du fait de la ramener. Mais comme c’est l’univers lui-même qui est placé en nous, il faut de l’envergure. L’éternel est entreposé chez nous. Il demande sa part. C’est pourquoi il y a des types qui ne supportent pas d’être tellement quelconques. C’est pourquoi je me suis senti obligé de faire quelque chose. Peut-être aurais-je dû rester chez moi. Peut-être aurais-je dû apprendre à embrasser la terre. »
Saul Below, Le faiseur de Pluie.

Révolte contre la poésie. Antonin Artaud.

Révolte contre la poésie
Nous n’avons jamais écrit qu’avec la mise en incarnation de l’âme, mais elle était déjà faite, et pas par nous-mêmes, quand nous sommes entrés dans la poésie.
Le poète qui écrit s’adresse au Verbe et le Verbe a ses lois. Il est dans l’inconscient du poète de croire automatiquement à ces lois. Il se croit libre et il ne l’est pas.
Il y a quelque chose derrière sa tête, autour de ses oreilles de sa pensée. Quelque chose est en germe dans sa nuque, où il était déjà quand il a commencé. Il est le fils de ses oeuvres, peut-être, mais ses oeuvres ne sont pas de lui, car ce qui était de lui-même dans sa poésie, ce n’est pas lui qui l’y avait mis, mais cet inconscient producteur de la vie qui l’avait désigné pour être son poète et qu’il n’avait pas désigné lui. Et qui ne fut jamais bien disposé pour lui.

Je ne veux pas être le poète de mon poète, de ce moi qui a voulu me choisir poète, mais le poète créateur, en rébellion contre le moi et le soi. Et je me souviens de la rébellion antique contre les formes qui venaient sur moi.

C’est par révolte contre le moi et le soi que je me suis débarrassé de toutes les mauvaises incarnations du Verbe qui ne furent jamais pour l’homme qu’un compromis de lâcheté et d’illusion et je ne sais quelle fornication abjecte entre la lâcheté et l’illusion. Je ne veux pas d’un verbe venu de je ne sais quelle libido astrale et qui fut toute consciente aux formations de mon désir en moi.

Il y a dans les formes du Verbe humain je ne sais quelle opération de rapace, quelle autodévoration de rapace où le poète, se bornant à l’objet, se voit mangé par cet objet.
Un crime pèse sur le Verbe fait chair, mais le crime est de l’avoir admis. La libido est une pensée d’animaux et ce sont ces animaux qui, un jour, se sont mués en hommes.

Le verbe produit par les hommes est l’idée d’un inverti enfoui par les réflexes animaux des choses et qui, par le martyre du temps et des choses, a oublié qu’on l’avait inventé.

L’inverti est celui qui mange son soi et veut que son soi le nourrisse, cherche dans son soi sa mère et veut la posséder pour lui. Le crime primitif de l’inceste est l’ennemi de la poésie et tueur de son immaculée poésie.

Je ne veux pas manger mon poème, mais je veux donner mon coeur à mon poème et qu’est-ce que c’est que mon coeur et mon poème. Mon coeur est ce qui n’est pas moi. Donner son soi à son poème, c’est risquer aussi d’être violé par lui. Et si je suis Vierge pour mon poème, il doit rester vierge pour moi.

Je suis ce poète oublié, qui s’est vu tomber dans la matière un jour, et la matière ne me mangera pas, moi.
Je ne veux pas de ces réflexes vieillis, conséquence d’un antique inceste venu de l’ignorance animale de la loi Vierge de la vie. Le moi et le soi sont ces états catastrophiques de l’être où le vivant se laisse emprisonner par les formes qu’il perçoit en lui. Aimer son moi, c’est aimer un mort et la loi du Vierge est l’infini. Le producteur inconscient de nous-même est celui d’un antique copulateur qui s’est livré aux plus basses magies et qui a tiré une magie de l’infâme qu’il y a à se ramener soi-même sur soi-même sans fin jusqu’à faire sortir un verbe du cadavre. La libido est la définition de ce désir de cadavre et l’homme en chute est un criminel inverti.

Je suis ce primitif mécontent de l’horreur inexpiable des choses. Je ne veux pas me reproduire dans les choses, mais je veux que les choses se produisent par moi. Je ne veux pas d’une idée du moi dans mon poème et je ne veux pas m’y revoir, moi.

Mon coeur est cette Rose éternelle venue de la force magique de l’initiale Croix. Celui qui s’est mis en croix en Lui-Même et pour Lui-Même n’est jamais revenu sur lui-même. Jamais, car ce lui-même par lequel il s’est sacrifié Lui-Même, celui-là aussi il l’a donné à la Vie après avoir forcé en lui-même à devenir sa propre vie.

Je ne veux être que ce poète à jamais qui s’est sacrifié dans la Kabbale du soi à la conception immaculée des choses.
Antonin Arthaud
Textes écrits à Rodez en 1944

Amours abstraites.

Toucher le jour à peine
Que déjà sa nuit revient enneigée
Froide et absente
Et aller vers les papillons
De ventre en ailes
S’envoler au creux de lui.
Sa lointaine main
Étend sur la terre entière
Le velours des paroles et du lien.
Griffer les murs et le son
Et racler le silence du sommeil
Perdu
Son visage sous l’aimant
Des mots qui s’attirent
Regarde la pluie des hivers
Et des solitudes
Et sur mon front rieur
Les rides disparaissent
Avec le chagrin.
Il est des nuits sans partage
Sciées au couteau
Morcelées et définitives
Où la noirceur brûle
Dans le feu dessiné

Des amours abstraites
Ramasser ce qui tombe
D’un geste écrit
Comme une image endormie.
Il sera de retour
Demain à la tombée du jour
Et sous ses ailes paresseuses
Viendra le désir
Et l’envol.
© Amina MEKAHLI.

Tiaret – Chevaux et Légendes

Mon dernier livre présenté au SILA (Salon International du Livre d’Alger) octobre-novembre 2015, en association avec Nacer Ouadahi, photographe. 

Ci-dessous la présentation du livre qui fait suite à la très belle préface qu’a bien voulu nous accorder Maissa Bey.

Bonne lecture !

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Ce livre n’est ni un livre d’images, ni un livre de mots. C’est le livre des rencontres humaines et de la sensibilité retrouvée.

L’ouvrage de l’urgence.

L’urgence de dire non pas la beauté, mais l’amour de ce pays. L’amour de ses régions aux mystères infinis. L’amour de ses chagrins et de ses douleurs. L’amour de ses gloires et de ses défaites.

Ce livre n’est pas une invitation au voyage. Il est une injonction intérieure à la méditation et au nomadisme des âmes. Une immersion dans nos entrailles ancestrales. Un retour aux essentiels ; la terre, le cheval, les humains.

Tiaret au galop est une rencontre entre la photographie de Nacer, le cheval de Tiaret et ma poésie. L’envie de faire ce livre est vite devenue une évidence.

De cette rencontre naitra non pas une ville, Tiaret Tihert La lionne, qui n’est plus à présenter, mais un projet simple et humaniste. Un projet de partage et de mémoire. Un livre du sens qui caresse les chevaux dans le sens du présent. Un livre qui survole les symboles sans les noyer. Qui dépeint sans toucher.

Tiaret est Ibn Khaldoun. Tiaret est l’Emir Abdelkader. Tiaret est les Djeddars. Tiaret est les dynasties. Tiaret est le Haras National Chaouchaoua avec son cheval Barbe, son cheval Arabe et son cheval Arabe Barbe.

La bibliographie sur cette région est intarissable. Nous avons décidé de laisser l’histoire aux historiens et la géographie au regard du lecteur. Ce travail est  un témoignage à échelle humaine ; Tiaret vue par l’un des siens. Que reste-t-il de ses légendes ? Que reste-t-il de ses traditions, de son patrimoine, de sa force d’hommes et de femmes ?

Ils perpétuent la beauté des choses simples, la beauté des êtres et de la nature indomptable des purs sangs. L’objectif du photographe a saisi l’essence fulgurante de ces coursiers magnifiques, joyaux inestimables d’une tradition millénaire.

Les chevaux prennent la plus grande place de ce travail commun. Ils sont le présent de ces légendes sublimes qui ont bercé notre enfance, le symbole de la paix retrouvée, les dignes coursiers des guerriers de la région.

Un regard simple, naïf et humaniste sur une région vivante et pleine de noblesse. Le regard d’une communauté exceptionnelle, à la fois tournée vers l’avenir et ancrée dans une terre de valeurs et de passions.

Bienvenue dans un univers poétique haut en couleurs du temps.

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