Nous deviendrons des enfants des rues.

Les gens s’y préparent dès le réveil. Douchés, habillés pour la circonstance, parfumés. Pour rien au monde ils ne seraient en retard. La ponctualité est de rigueur. En voiture, à pied, dans les transports publics ; ils s’y rendent, hommes et femmes. Des vieux, des jeunes et parfois de grands enfants. Ils arrivent un peu avant l’heure, se saluent respectueusement, parlent à voix basse, échangent sur tout et rien sans grande emphase. Les femmes passent, les hommes baissent les yeux, leur cèdent le passage, les aident même, sans provocation ni mots déplacés.
Les lieux de rassemblement sont immaculés, climatisés ou chauffés selon les saisons. Le civisme y est exemplaire. Les toilettes sont propres, les coupures d’eau n’y existent pas. L’éclairage est assuré de nuit.
Les gens préservent cet environnement, en ayant les gestes appropriés. Certains se baissent même sur leur chemin pour ramasser qui un bout de papier, qui une bouteille d’eau vide qui traine.
Les lieux de rassemblement sont non-fumeurs. Tout le monde se plie à la règle sans même rechigner. Les parkings sont disponibles souvent et les conducteurs sont enclins au respect des règles. Admirable.
Les lieux de rassemblement où des conférences sont tenues, sont dotés des équipements adéquats de sonorisation. Le silence de l’auditoire est exemplaire aussi. Personne n’interrompt le conférencier, personne ne discute avec son voisin, ni ne crée une distraction.
Les gestes, les silences, les temps d’écoute, tout est minutieusement respecté jusqu’à la fin. La sortie se déroule aussi dans la bonne humeur et l’hilarité collective. Un monde de paix entrevu l’espace d’un rassemblement.
La rue enfin accueille toutes ces populations qui se déversent en flux.
Les habitudes reprennent, les bouteilles sont balancées sans scrupules. Les conducteurs redeviennent féroces et vulgaires. Les femmes redeviennent une ruelle plus loin, objet de distraction ou de jérémiades collectives.
Sifflées, huées, montrées du doigt et interpellées dans un jargon vulgaire et écervelé. La propreté des lieux, la convivialité, le respect d’autrui, le civisme, le bon entendement, la ponctualité cèdent le pas très vite à des comportements opposés, à l’impossibilité de toute cohabitation citoyenne.
Comment faire de l’exemple de ce lieu de rassemblement, un chemin de réflexion sur la décadence flagrante au quotidien, ses causes et ses conséquences ?
Créer des lieux où des centaines de personnes, voire des milliers puissent se rencontrer chaque semaine, pour une activité autre que religieuse, est du domaine de l’utopie. Un simple match de football nécessite aujourd’hui un dispositif de sécurité impressionnant. Les grands rassemblements font peur. Les foules sont devenues inquiétantes. Sans des autorisations de mille et une institutions, aucune action spontanée n’est envisageable. La rue est devenue un coupe-gorge pour l’individu. La rue est un sens interdit pour la joie de vivre.
Ce rassemblement de toutes les semaines, à la même heure : La prière du vendredi. Voilà de quoi sans doute observer de très près un vivre-ensemble. Un communautarisme civilisé.
Comment alors penser une modélisation de la société en dehors du terrain religieux ? Comment instaurer le civisme, l’individualisme responsable ? Comment légiférer sur le respect, sur le devoir, sur le vivre-ensemble ? Pourquoi en Algérie, aujourd’hui, seul le religieux est à même de donner des résultats, des exemples ? Quelle Algérie alors en dehors du religieux, quel modèle, quelle morale ? Qui est le citoyen algérien ? Qui le protège, qui le rend meilleur ?
La liberté de culte est un droit constitutionnel, mais cette liberté que deviendra-t-elle en dehors des mosquées et sans y mêler Dieu ? Demain l’Algérie, des vendredis, des samedis, des dimanches, des jours meilleurs, des rassemblements, des prises de conscience, des foules hétérogènes dans l’espace public, tout public.
Tant de privations ont versé l’individu dans la paranoïa du grand air, dans la hantise du nombre, dans le déni de l’autre, de tous les autres. Mais demain l’Algérie devra penser ses enfants, tous ses enfants, sans violence et sans haine. Demain la rue reprendra son droit, nous le souhaitons.
Un jour, nous ressortirons de nos peurs et nous deviendrons des enfants des rues…

Amina MEKAHLI.
Chronique du 08/08/2015.

 

 

Je suis algérienne mais je me soigne

Le champ politique en Algérie est devenu un champ de quolibets, qui poussent en lieu et place du débat, du programme, du discours. Un mot, une phrase, un faux pas et voilà l’affaire faite, alimentant les discussions pendant quelques jours. Les partis politiques ont tous une effigie : un instrument de musique, un pot de yaourt, une bouteille de vin, une autoroute, un costume manches courtes, un livre de chevet  et un livre saint.

On prend les mêmes et on recommence.

Qui est conservateur ? Qui est progressiste ? Qui est islamiste ? Qui ne l’est pas ? Quels sont les programmes ? Le nombre d’élus ? Le nombre de portefeuilles ? Qui aime qui ? Qui s’allie avec qui ? Pour quel avenir ?

Les réponses attendent chaque jour, quelques caricatures blasées et quelques chroniques réchauffées et resservies au goût de l’actualité. On prend les mêmes et on recommence. Les mêmes mots, les mêmes jeux de mots, les mêmes absences totales d’analyse. Quelques gros titres racoleurs, des insultes assaisonnées de quelques citations à comparaître, des faits divers et des règlements de compte.

Tout est médiatisé en apparence, tout est dit, tout est transparent et opaque. La chasse au scoop est devenue la chasse à la sensation, à l’humour glauque, à la victimisation et au déni. Tout le monde sait tout sur tout le monde. Personne ne sait rien. Et entre les inepties, les fausses rumeurs, les vraies calomnies, les fumées sans feu, les feux sans fumée.

Tout le monde se retrouve et se perd. Tout le monde se hait et se congratule par intermittence. La vérité est toujours chuchotée, puis colportée, puis mise entre des mains sûres, puis démentie, puis réhabilitée avant d’être vite oubliée.

Le champ politique est devenu une affaire de sous-titres, de libellés, de guillemets, de sources opaques, de vanités intellectuelles, de sous-entendus, de malentendus, de prémonitions, de pressentiments et de hasard …

Qui sont tes élus ? Qui sont tes dirigeants locaux ? Quel est le programme de ta commune ? Autant de questions qui restent sans intérêt pour le citoyen. Il cherche lui aussi le sensationnel, l’argent détourné, il connaît les abysses du pouvoir, il les devine, il fait de l’anticipation, des pronostics. Un peuple de visionnaires éclairés. Avec des « si moi … » tout est résolu en un clic. Tout le monde a la solution. Il faut juste trouver le problème. La chasse au problème est un sport national.

L’algérien est un passé

L’Algérien est un passé de plus en plus lointain, il va chercher aujourd’hui sa gloire aussi loin que possible, il trouvera un ascendant vaillant et valeureux pour laver sa déchéance. Il trouvera des tribus inconnues au bataillon à te servir en guise de faire valoir imparable. Mes ancêtres sont mieux que les tiens, toujours. L’Algérien est une victime incurable du passé. Sa gloire de victime est son histoire. Il cultive les bribes de son passé, il les soigne, les entretient, les offre au premier venu, enveloppés de fierté et de nostalgie. Quelques larmes souvent sacralisent ces instants de partage.

L’algérien est un futur

L’Algérien est un futur. L’avenir de la planète le préoccupe. Les problèmes énergétiques des siècles à venir le préoccupent. L’avenir de ses arrières petits-enfants le préoccupe. Tout Algérien peut te faire une conférence à lui tout seul sur le gaz de schiste, sur la disparition imminente du pétrole, sur l’avenir des énergies renouvelables, sur l’avenir de son avenir.
Mais son présent est un enfer.

Tiraillé entre ses ancêtres et ses arrières petits-enfants qui viendront un jour lui demander des comptes, il attend. En position d’attente prolongée, il s’invente l’humour, noir de préférence. Tout est cynique pour lui. Tout est dérisoire est joué d’avance. Les dés sont jetés, les dés sont pipés dit-il sans jouer.

Le monde n’est pas l’Algérie et l’Algérie n’est pas le monde.

Le monde est en marche. Le monde va mal. Le monde fonctionne sans nous. De grandes phrases, de grands slogans, de grandes décisions immobiles, de grandes gueules pour des bras courts, de plus en plus courts. Le monde n’est pas l’Algérie et l’Algérie n’est pas le monde. Des cas particuliers, uniques, refont le monde. Quant à leur pays, il est fait sans eux. Personne ne leur demande leur avis, si seulement quelqu’un pensait à leur demander leur avis … Soupirs !

Les élus locaux ? Des incapables. Les chefs d’entreprises ? Des voleurs. Les gouvernants ? Des marionnettes. Les intellectuels ? Ils sont tous morts, les vrais. Les artistes ? L’art c’était avant. Les étudiants ? Tous des analphabètes bilingues. Et la liste deviendrait interminable, de ces réponses blasées de suffisance et d’amertume. De ces litanies obsédantes. Un mélange de désespoir, de fatalisme et de paresse.

Mais qui travaille en Algérie en fait ? Qui s’occupe de tout pendant que tu traines ta mal-vie ? Qui milite, qui avance, qui s’implique pendant que tu enseignes tes prophéties dans les cafés maures et les salons ? Mystère d’une Algérie mal aimée et vénérée. Mystère d’une Algérie de toutes les contradictions et de toutes les inepties. Tout est perdu disent les uns. Tout est magique disent les mêmes uns. Ainsi nous sommes, remettant à plus tard l’occasion de nous retrousser les manches … Ainsi nous sommes fiers et démotivés, déterminés et attentistes, révolutionnaires et pacifiques.

Moi aussi comme vous chers compatriotes je suis algérienne,

Mais je ne me soigne pas…

 

© Amina Mekahli

Jeunesse dorée… au soleil

Quel âge doit-on avoir en Algérie pour être concerné par une chronique, par un discours, par un débat ? Quel âge doit-on avoir pour mériter la confiance, le respect ? Quel âge doit-on avoir pour être un adulte digne d’intérêt ? Quel âge doit-on avoir en dehors des campagnes électorales, où les jeunes sont soudain encensés et mis en exergue ? Cette jeunesse qui a atteint la majorité légale et sexuelle, a non seulement le droit de voter et l’obligation d’ailleurs, mais elle a le droit de vivre et de s’exprimer. Être majeur en Algérie ne signifie pas grand-chose à part la crainte d’aller en prison.

 Voyager est un miracle, avoir un visa est une erreur génétique, s’amuser est un délit, aller en boîte est un luxe réservé à ceux qui gagnent très bien leurs vies c’est à dire les quadragénaires et plus.

Être majeur en Algérie et avoir vingt ans, quel parcours à l’envers ! Un jeune commence vieux, il a une vie de vieux. Des horaires calqués sur ceux de ses parents, quelques sous à peine pour un café et un journal, lire quelques livres prêtés par ci par là, discuter entre copains, jouer aux cartes et au dominos, et espérer.

Puis l’âge allant, il gagne un peu plus d’argent, il achète à trente ans les fringues dont il rêvait à vingt, il commence à penser à un passeport, il partage avec quelques amis un petit studio, pour les plus chanceux, et la vie de jeune commence à pointer du nez, quelques petites escapades, quelques transgressions et des poussières, et la course encore contre l’ennui, contre le temps qui recule, contre le système qui l’ignore en l’endettant de plus en plus.

A trente ans, les petites virées commencent, quelques sorties et internet encore et toujours, la musique, la culture, toutes les choses simples sont hors de prix.

Jeunesse dorée ? Au soleil et encore ! Tout est tellement simple et compliqué en même temps pour un jeune. La vie ils la prennent comme elle vient, enfermés et cloisonnés dans un espace aux frontières fermées, ils rêvent d’une Algérie pour eux, jeune et vivante.

Ces jeunes de la vingtaine sont brillants, ambitieux, nationalistes, inventifs, débrouillards, drôles, cultivés. Et oui, ils le sont. Cette image du jeune mendiant un crédit qui leur colle à la peau, cette image du jeune attendant L’ANSEJ  les fait rire souvent. Ils s’expriment comme ils peuvent sur les réseaux sociaux, ils ont une conscience politique pointue, ils suivent l’actualité et analysent tout. Ils sont vivants difficilement mais ils vivent.

Ignorés et insultés par tous, ils se désolent d’être aussi mal traités par les médias, d’être caricaturés comme des bons à rien, des bras cassés, des ingrats du système. Ils ne sont dupes de rien. Ils avancent et se créent leurs propres codes, leur propre langage, leur propre avenir.

L´Algérie ? Ils y croient fermement, loin de la capitale qu’ils n’ont jamais visitée pour la plupart, ils arrachent leur « algérianité » au quotidien.

Ils ne sont pas que des supporters de football, contrairement aux idées reçues. Ils créent des pages, des blogs, des médias à eux et pour eux. Ils y sont à l’aise, ils ont tout inventé ou presque un humour décapant, un langage bigarré faisant fi du caractère monolingue de la Constitution du pays, ils sont officieusement multilingue. Ils maîtrisent tous les supports, s’entraident et s’encourageant. Ils filment, dessinent, écrivent, prennent des photos de leurs univers et de leurs conception du monde. Ils ont du talent et de la volonté. Ils existent.

Chauvins et fiers, ils le sont encore plus quand un des leurs perce enfin de son nulle part. Le nulle part ils connaissent très bien, ils sont du même bord, ils partagent sans modération son talent et son exploit. Ils rient de tout et le caractère tragique des situations est toujours matière à la dérision.

La jeunesse Algérienne ne vit pas que dans la capitale, elle foisonne partout dans les villes, les villages, lesdouars, les montagnes et le désert. La jeunesse Algérienne est une et multiple.

Ces jeunes Algériens sont inévitablement la source et la solution du problème, ils le savent et ils se préparent à prendre la relève naturelle des choses. Ils sont ouverts au monde et au changement, et trouvent mille parades aux tracas du quotidien. Terrassés pourtant par une société qui les pointe du doigt et les place tous les jours à son ban. Ils sont révoltés par l’image que leurs aînés produisent d’eux. Ils sont seuls mais ils sont nombreux !

Ils ne sont pas des casseurs en berne, ni des brûleurs de pneus en mal de célébrité, ils ne sont pas cette jeunesse dessinée comme une meute de moutons par l’intelligentsia vieillissante. Ils sont des têtes et des cœurs, amoureux, rêveurs, battants, brillants et déterminés.

Le soleil n’a pas d’âge et le plain blanc non plus. Pour peu que nous daignerons un peu leur laisser un espace de reconnaissance et de gratitude, ils seront prêts à tout le meilleur comme le pire, mais ils ont opté pour le meilleur envers le pessimisme ambiant et les événements du monde qui les inquiètent bien plus que nous le pensons.

La modernité et le développement leur ont fermé les porte des aéroports, ils ont ouvert des fenêtres, des millions de fenêtres  par lesquelles ils laissent entrer la lumière et l’espoir d’une vie meilleure.

Aimons-les.

 

© Amina MEKAHLI

Je t’offrirai la lune

Je t’offrirai  la lune qu’on nous dit, depuis qu’on est tout petits. Paysage lunaire, perspective lunaire et un peuple qui attend la lune. Le cœur rivé au ciel et l’esprit plongé dans un désert quelque part en Arabie.

Toute l’année, tout est remis non aux calendes grecques, mais au mois de la lune. Le seul mois de l’année où nous basculons vers la lune. Des milliards d’individus comptent en mode lune. Tout s’arrête et le soleil aussi. Nous ressortons nos calendriers hégiriens, nos costumes hégiriens, nos us de quelque quatorze siècles et des poussières. Nous époussetons, lavons, rangeons, tout et nous-mêmes. Nous nous apprêtons à devenir meilleurs. Nous nous préparons à basculer dans le vide astral. La lune et  rien ne comptera plus.

L’avez-vous vu ? est-il apparu ? Concertations et comités, supputations et compte à rebours. Plus rien n’a d’importance, accrochés à un croissant, à vue d’œil nous attendons la lune.

Le monde musulman baisse les rideaux, s’inscrit aux abonnés absents, dort et mange sa spiritualité.

Plus le temps de rien faire, tout est différé, reporté. Après la lune nous verrons. L’unique réponse.

Pourquoi sommes-nous restés figés ? Pourquoi éprouvons-nous ce besoin de friser  cette régression ? Car c’est une régression. Nous redevenons archaïques et irrationnels. La science n’a plus aucune emprise sur nous. La foi la vraie non plus. Nous redevenons des bêtes effarées devant la faim. Nous avons peur de la faim et nous nous y préparons minutieusement. Nous stockons dans les moindres interstices de nos maisons et de nos avidités les denrées du mois lunaire. Nous installons nos matelas et nos tapis, nos gros coussins et nos tables basses. Nous préparons le confort de l’engloutissement programmé. Nous ressortons nos reliques du passé, ou ce que nous pensons ressembler au passé. Nous nous enveloppons dans la tiédeur de l’atavisme salvateur. Le kitch rivalise avec l’absurde, mais nous y allons avec nos tripes. Il le faut c’est la lune.

Nous vivons la nuit, à se frayer un espace vide dans nos estomacs pour le combler de récompense. La langue universelle devient le sucre. Babel retrouvée.

Nous engloutissons nos frayeurs et nos craintes. Nous pensons à la faim du lendemain pas à celle d’autrui. Nous jeûnons dans l’effroi. Nous jeûnons dans la jungle de nos conditionnements individuels. Nous jeûnons dans la torpeur de nos subconscients désactivés. Nous jeûnons dans l’arène béant du châtiment tournoyant.

La rue devient le terrain de la faim et du besoin, le terrain des dépendances assumées dans le manque, le terrain des représailles et des corps en abstinence forcée. La rue devient le terrain des visages à découvert sans fard et sans masque. Les masques tombent un à un, la lune est partout, sous le soleil. Elle est comme une faux qui arrache le civisme et l’élégance. La faim ne connaît pas les bonnes manières. Le manque tiraille les troupes, la soif les pousse dans les tranchées, la peur de l’au-delà les fait guerroyer. La criminalité est inversement proportionnelle à la foi. Je t’arracherai mon paradis de la bouche, comme un morceau de pain chaud.

Couvrez-vous crie-t-on aux femmes, taisez-vous aux gamins, levez-vous aux aurores ! Mangez, mangez avant qu’il ne soit trop tard, la lune n’attend pas la,petite cuillère.

Le mois de tous les projets culinaires, de toutes les résolutions de piété retrouvée, de toutes les privations supposées. Le mois céleste qui s’abat sur les terres des hommes, pauvres hommes essoufflés de courir après le temps qui stagne. Le soleil s’allonge, le ciel écoute, tout le monde musulman est accroché au balcon du coucher. La nuit tombe en ouvrant ses bras et son ventre à des milliards de bouches tenues en haleine jusqu’à l’éclatement de la raison.

Le monde moderne s’éclipse, il ne suit pas la cadence à reculons dans les entrailles du jugement dernier. L’homme s’invente une religion chaque jour. Une chaîne satellitaire, un mufti, un boulanger, un plat. Tout devient habitude, puis rituelle, puis obligation, puis loi. Et les habitudes s’amoncellent, s’entassent, s’entremêlent, se racontent puis s’écrivent ; et l’homme s’engouffre en criant dans le tunnel de l’absurde.

Il recherche une odeur de sa mère, une couleur de sa grand-mère, les arômes de ses ancêtres. Il recherche éperdument le temps passé, le train originel qui déraille à temps pour le jeter dans sa propre gueule de loup affamé. Il se recherche un mois durant, en fouillant les poches de son identité et ne retrouve à sa fin que des chèques à blanc et quelques pièces du puzzle à reconstituer l’année suivante.

 

© Amina MEKAHLI