Sur le toit du Gourbi blanc où tu caches l’instant

Les siècles qui nous écoutent parler arriveront
sur la pointe du temps pour nous surprendre enfin
tes bras autour de mes mots et mes mains posées
sur l’amour que je te confectionne du bout de mes dents

Le silence dans les prairies où même les oiseaux bleus
sont partis avec le vent pour ramener les enfants
pèse comme la voûte courbée d’un ciel décoloré
sur les baisers volés et toutes ces choses qui brillent

Tu t’allonges enfin sur les sables sans mémoire
pour conter à ton corps des histoires sans visages
des caresses pressées avalées sur la faim
et ces milliers de chants que tu mâches en marchant

Je suis venue ce soir regarder la dune
au-delà du désert que ton amour m’a confié
un soir de tous les secrets où la nuit te ressemblait
comme deux petites gouttes d’eau de fleurs d’oranger

Mais mes yeux fragiles de poussière et d’os
s’inventent des mirages au goût familier de l’adieu
et des promesses, des cheveux mouillés de larmes,
des doigts qui se comptent par vingtaine, et des serments.

Et je reste assise au bord de l’attente grise qui blanchit
comme la colombe meurtrie qui survole la langueur
sur cette route encore tracée où mes pas sans adresse
emporteront mon vieux poème à tes oreilles de fennec blessé

Liras-tu ces lettres fatiguées s’alignant sans détours
sur une page tournée par la beauté d’un geste
en posant quelques notes fébriles et audacieuses
sur le toit du Gourbi blanc où tu caches l’instant

Brûleras-tu le messager qui saura te retrouver
ses ailes déployées dans mon âme errante
à l’affût de ces signes qui font trembler les boussoles
quand le nord est perdu et que le sud est en moi

Les siècles qui nous écoutent parler arriveront
sur la pointe du temps pour nous surprendre enfin
tes bras autour de mes mots et mes mains posées
sur l’amour que je te confectionne du bout de mes dents

© Amina MEKAHLI

Inès

Debout sur la décision
attendant qu’enfin il s’en aille
par cette fenêtre ouverte
sur la blessure
attendant à peine
que je le vis déjà revenir
en moi
ce spectre des forêts sans arbres
ce vent glacial sans bruit
cette caresse de la chair vive
et du sang
je le vis s’allonger dans mes yeux
sur mes larmes
sur ma vie
il était là plus que vivant
il était là plus que toute mort
il était là à même le cri
Le souvenir.

© Amina MEKAHLI

Journal intime d’un crayon noir (2)

Je n’ai de certitudes pour rien, ni pour la couleur de ses yeux que j’ai à peine touchés, ni pour la douceur de ses lèvres tremblantes de peur et d’effroi, ni pour rien qui lui ressemble quand tous les matins s’alignent comme des petits soldats du bonheur.

Je n’ai de certitudes pour plus rien, quand la nuit arrive dans le pli du cœur, entre les étranges souvenirs d’avant ce tout, cette frayeur de perdre, cette furie de gagner, et ce repos qui ne viendra jamais plus.

Je ne suis plus qu’attente désorientée, langueur désarticulée, ferveur oubliée, dans les corps qui s’amoncellent dans la ressemblance des amours sans train, dans les prénoms chantés par les troubadours, dans les mains tatouées sur les fronts chauds.

Je ne suis plus celle que je connais, celle qui habitait la tour des poètes, celle qui tenait sa langue en chapelet, celle qui souriait aux lendemains incertains, celle qui offrait son pain aux oiseaux de la terre, je ne suis plus celle que je reconnais.

Je n’ai de mémoire pour personne, ni pour les albatros en reconnaissance, ni pour les marins de la conquête, ni pour les savants qui s’ignorent, ni pour les hommes sans trajectoire qui se brûlent sur les sentiers du retour.

Je suis cet animal aveugle, qui ne reverra plus, qui cherche sa tanière au milieu des fleurs arrachées, au milieu des vents contraires, au milieu des ventres sans nombrils, au milieu d’un ciel sans appel. Je suis cet animal aveugle.

Je n’ai plus cette noirceur au bout de l’abîme, plus de lèvres sur les sépultures des amants, plus de lait dans les bouches taries, plus rien je n’ai, plus rien je n’ai. Je n’ai plus cette clarté au bout de mon silence.

Je n’ai d’amour que de cette ombre, qui vole entre deux rayons, qui s’invite sur tous les firmaments, qui danse devant la flûte d’argent, cette ombre que j’aime quand je me souviens.

Quand je me souviens, les nuages ressemblent aux champs d’orangers, la musique ressemble au bruit de ses pas dans mon tympan, la terre a le vertige des derviches, et mes rires reviennent frapper des mains aux portes du départ.

Je veux écrire, comme ces gribouilleurs de la joie, comme ces maladroits de l’éternel, comme ces faiseurs de contes, comme ces raconteurs de chagrin, comme ces diseuses de voyages. Je veux écrire ces quelques moments d’un visage, ces quelques questions d’un moment, ces quelques réponses sans mots. Je veux écrire.

J’écrirai un jour, j’écrirai au grand jour, je crierai un jour, je crierai au grand jour.

Je n’ai de certitudes pour rien, ni pour la couleur de ses yeux que j’ai à peine touchés, ni pour la douceur de ses lèvres tremblantes de peur et d’effroi, ni pour rien qui lui ressemble quand tous les matins s’alignent comme des petits soldats du bonheur.

© Amina MEKAHLI