Papillon du désert

L’eau a cessé de couler sous les genoux
Des arbres et des palmiers
Les ponts que je construirai de mes mots
Seront mon seul passage vers la mer
Il est un temps pour les adieux à l’insouciance
Il est un temps pour le tourment
Et je bâtirai de mes mains cet abri sans failles
Pour mes petits jours vieillissants
La pluie efface et le soleil recommence
Un par un ses rayons me regardent fuir
Vers l’espoir qui ne ferme pas les yeux
Vers la vie sous le joug des vieux sages

L’eau a cessé de couler sous les genoux
Des arbres et des palmiers
La dune se casse sous ma bouche asséchée
Les mots sont mouillés sous les paupières
Je serre ma canne sous mon pas décidé
A laisser des traces sur les sentiers battus.

© Amina MEKAHLI

Histoires à écrire debout (11)

C’est une amie il y a bien une vingtaine d’années ou plus, qui est revenue aussi, elle est passée me dire bonjour, le matin, ma maison était sens dessus dessous, mais ce qui était bien à l’époque où je n’avais pas d’ascenseur, cela me laissait largement le temps entre le moment où je voyais une voiture se garer en bas et le moment de taper chez moi, de ranger au moins le salon, quinze étages à pied, ça laisse vraiment le temps… Donc elle arrive, retrouvailles, café, discussion, et à un moment elle me dit excuse moi, je dois passer un coup de fil, elle va à la salle de bain en attendant, moi je vais en courant, à la chambre qui me tenait lieu de bureau, et qui était accessoirement une chambre d’amis, pour ranger le bazar qui trônait au-dessus du combiné de téléphone, à cette époque, nous avions le fixe et c’était déjà le luxe quand il n’était pas en dérangement à cause de la pluie, je balance à me tordre les muscles, tout dans la chambre en face, camoufle, dissimule, embellis, tant bien que mal, tire les rideaux, et je retourne, ni vue, ni connue, au salon, elle est encore dans la salle de bains, elle arrive enfin, et je lui dis : On y va ? … Où me répond-elle ? Tu voulais passer un coup de fil, le téléphone est par ici dans mon bureau, elle me répond, ah non merci c’est déjà fait… Elle avait un GSM, je n’en avais encore jamais vu en Algérie, à part à la télé.

C’est à Alger, il y a quelques années, invitées à une soirée une copine et moi, on attend dans le hall de notre hôtel le copain de notre hôte qui vient nous chercher en voiture, et qui doit nous appeler en arrivant; il nous appelle donc pour dire qu’il est dehors, je sors, je vois une voiture mais sans conducteur, j’appelle mon ami, il me dit mais Amina il est dehors, je ressors, la même voiture vide, je rappelle mon ami qui commence à s’impatienter, et à un moment la voiture s’ouvre côté passager et un type descend et me fait signe, j’ouvre la portière arrière pour monter, et il me dit mets-toi devant, en ouvrant la portière côté conducteur, je lui répond, mais je ne conduis pas… Je ne te demande pas de conduire, monte dit-il à bout de nerfs…Il venait de Londres et sa voiture aussi.

© Amina MEKAHLI

Histoires à écrire debout (10)

C’est un ami qu’on n’avait pas vu depuis longtemps, il vivait au Canada, il revient il y’a quelques années, je l’invite, retrouvailles, mes amis l’invitent à tour de rôle, alors qu’ils ne le connaissait pas vraiment, il raconte sa réussite, ses voyages, son nouveau standing de vie, la veille de son départ, confus de tant d’hospitalité, il insiste pour inviter tous mes amis au resto, on y va, contents, expansifs, démonstratifs, on arrose, on arrache, l’addition, il sort son beau portefeuille, prend des billets bleus, les mets dans la pochette et me la tend, des billets bleus, je n’en connais pas, je me dis le pauvre il a du mettre une monnaie étrangère, j’ouvre et je me décompose en silence, cinq billets de 100 da, des billets que personne n’utilise plus chez nous… L’addition était de 300 petits billets bleus…mes amis ne m’ont pas parlé pendant une semaine.

C’est un autre ami qu’on n’avait pas vu depuis longtemps aussi, je l’invite il y a quelques années, à un gros dîner avec mes amis à la maison, il arrive en costume blanc, on sourit un peu mais on se retient, il est tellement gentil, et puis on se dit les Bee Gees sont peut-être encore à la mode dans les pays de l’est, et puis à un moment, un cri de douleur d’une amie, je réalise enfin que c’est un fou rire étouffé, elle me fait des signes, je ne comprends rien, on va dans la cuisine, elle me dit entre deux suffocations, il porte un slip rouge sous son pantalon blanc, on rit, on se calme, et à un moment de nouveau, le cri de douleur de la même amie, mais là, plus strident, plus aiguë, étouffé, puis lâché dans un éclat interminable, elle gigote, tombe par terre, suffoque, on l’asperge d’eau, quand enfin elle se calme, c’est pour nous dire, il n’a plus le slip rouge… Il avait compris…nous l’avons cherché partout ce slip rouge dans les poubelles le lendemain…Mystère.

 

© Amina MEKAHLI

Histoires à écrire debout (9)

C’est dans un centre de redressement pour jeunes filles mineures, elle avait 14 ans, douce, timide, silencieuse, elle parle enfin, arrêtée pour avortement illicite avec un groupe d’autres femmes dans un village, enceinte, violée pendant des années par son oncle paternel dans une ville de l’intérieur du pays, sa mère la met à la porte en la traitant de traînée, pour protéger son foyer et sa famille, elle marche seule sur des kilomètres, fait du stop, est récupérée par cette dame, qui découvrant sa grossesse et l’horreur décide de la faire avorter. Elle a fini sa peine, passé son bac en prison, et fait des études de psychologie. Elle m’appelle Madame Amina, et elle me donne souvent de ses nouvelles.

C’était un chanteur à la voix magique, il chantait le terroir comme une complainte cristalline, il était respecté par tout le monde, un homosexuel discret et doux sans artifices ni faux semblant. Dans son quartier tout le monde le vénérait, il s’occupait de sa maman et de sa famille. Il n’a jamais eu cette gloire qu’il méritait, ni cette reconnaissance pour laquelle il a travaillé toute sa vie. Il chantait le soir dans un petit cabaret derrière le théâtre d’Oran, il était heureux quand on allait l’écouter. Il connaissait les maîtres oranais par cœur. Il est mort un jour sans un bruit, sans un cri, sans tambour ni ghaita. Cheikh Belahouel.

C’est une femme aux yeux pétillants, quatre-vingts six ans , elle me raconte ses mariages: J’ai eu six maris, la première fois que je suis allée devant un juge pour demander le divorce, il n’en revenait pas, à l’époque j’avais vingt ans et c’était à Tiaret, par la suite c’est devenu une procédure, oui madame, vous payez votre dot ? Oui je paye mais je ne reste pas avec un homme qui n’a pas de considération pour moi parce que je suis stérile… Et alors ? Alors j’ai adopté des enfants, le dernier, c’est lui qui s’occupe de moi, il a vingt huit ans, j’ai adopté aussi trois filles de la même mère, c’était des sœurs, elles sont reparties un jour la retrouver et m’ont laissée, mais c’est la vie, et mon fils le pilote de chasse, il est mort le pauvre, mais j’ai eu une pension et des droits car il était militaire, et…, et…, et…, vous en avez adopté combien? Trente en tout et aujourd’hui je vis seule avec mon plus jeune fils. C’est la vie.

© Amina MEKAHLI