Le départ des Justes

Les vallées refleurissent
Bercées par les départs
Des justes
Une canne sur un arbre
Une chaussure bleue
Dans l’eau
Et quelques dents posées
Sur un adieu blanc
Des fissures sur les troncs
Des cordes nouées
Et des oiseaux engloutis
Dans le brouhaha des noms
Perdus
Quelques tranches d’oubli
Sur des rubans de joie
S’envolent
Le calme revient sur les lèvres
Immobiles
Les sourires s’enfoncent
Dans les arbres
Les cordes tombent une à une
Les justes sont partis.

© Amina MEKAHLI.

Rendez-moi ma peau noire

Excuse-moi mère langage
Je parle ta langue
La langue des balles
Dans le tibia de mon père
Excuse-moi je parle
Le langage de l’école
La seule que j’ai eue
Ecole.
Je suis lettrée
Par la force et la veine
L’héritage désuet
D’une guerre oubliée.
Je suis francophone
Par le dépit de l’ignorance
Je parle à mes pairs
A travers la guerre
Je suis une et plusieurs
Sans langue et sans demain
Rendez moi ma mère
Et son langage que je hume
Comme un animal blessé
Je veux redevenir
Civilisée et sans date
Je ne puis
Civilisée et sans mamelle
Je ne puis
Je ne pleure avec mes soeurs
Dans les mêmes signes
Je ne reconnais les ancêtres
Que sur un registre
Colonisé
Je suis cette âme muette
Rendez-moi mon langage
Ma statue
De sel
France, je vous salue
Mais je suis cette plaie
Qui pue
Dans votre langue
Qui n’est pas mienne.
Que parlais-je avant ?
Dites-moi donc Ô savants ?
Rendez moi ma peau noire
Mes yeux noirs
Ma langue sans couleur
Partez ! je vous le demande
Laissez-moi retrouver le chemin
Du sein de ma vie
Je vous parle en votre langue
Puissiez-vous saisir
Ma mort.
Je n’ai pas de langue
Je n’ai pas de lettres
Je n’ai pas d’adresse
Je suis un mort qui revient vers vous
Votre mort est ma vie
Mourrez et laissez-moi mourir
La mer est dure
La dune est sans avis
Les hommes périssent
Et les femmes vous parlent
Partez ! de ma langue
Ou donnez-moi l’oubli.

© Amina MEKAHLI.

O lumière reviens !

La lumière se fige blessée
Sur la faille acérée de nous
La noirceur s’épanche lourde
Sur les bords des rives d’antan
Il faut partir sur ce navire
Délabré mais solide
Quitter le lac des signes

Voyager sur le silence des ans
Et trouver le mot pour le dire
O lumière reviens !
Je te soignerai de mes mains
O lumière ne pleure pas
Le jour te dit : je t’attends
O lumière reviens !
Le jour m’a dit : je t’attends

Le soleil nous parle ainsi
Entre l’épée et la distance
Entre deux bouches séparées
La lumière est alitée
Les absents ne sont pas loin
Ils sont juste des éloignés
Que la distance a pénétrés
Au temps des trains désespérés

Revenir sur le silence des ans
Ramener tous les mots pour le dire
O coeur tendre reviens !
Je te soignerai demain
O lumière ne pleure pas
Le jour te dit : je t’attends
O lumière reviens !
J’ai dit au jour : Je t’attends

Les absents ne sont pas loin
Ils sont juste des éloignés
Que la distance a pénétrés
Au temps des trains désespérés

© Amina MEKAHLI.

L’envol des larmes

Mes pieds posés dans le vide
Regardaient mes ailes absentes
La vie tremblaient sur ma bouche
Mes yeux scrutaient le passé
Aucune ombre à l’horizon
Ne vint à ma rescousse
J’ai rassemblé mon âme
Autour de mon courage
Plié toutes les lettres une à une
Déployé mon amour sur les plaines,
Comme du coton
Et j’ai attendu l’envol
Vers ses paupières closes
Qui m’attendaient quelque part
Mon nom a alors disparu
Et mon coeur est devenu métal
Les oiseaux ont imité ma voix
Jusqu’au passage des mondes
A l’orée des souvenirs blancs,
Et des nuages souriants
Là où les yeux sont grands ouverts
Et les cœurs sont moelleux
Là où l’absence se termine
Sur les bords de la langueur
J’ai décidé de vivre l’au -delà
De l’espérance et de l’attente
J’ai retrouvé cette main chaude
Et cette joue des confidences
Déterrées de ma mémoire
Le temps d’une larme qui danse.

© Amina MEKAHLI.