“L’eau des roses assassinées” – Exclusivité pour le dialogue poétique « Nouvelles Voix » Espagne/ Algérie/ Tunisie, Juin 2019

L’eau des roses assassinées

Nous sommes ce pays du levant
Et cet autre pays du couchant
Agrippés au soleil comme des ballons qui s’envolent
Au-dessus des cimetières profanés
Agrippés au cœur des hommes qui s’enfuient
Devenus d’incontournables morceaux de pierre
Nous entrons par les portes du ciel
Et nous sortons par les fenêtres des prisons
Désarmés nous brandissons nos mains
Pour pointer du doigt le salut de nos âmes
Nos bouches posées sur les tombes des martyrs
Murmurent des cris dans la langue des vivants
Pour que le vent se lève enfin avec les voiles
Sous l’ombre de l’arbre aux racines noyées dans la mer
Nous entrons par la vallée de la Soummam
Et nous sortons par le détroit de Gibraltar
Asphyxiés par l’air confiné de l’histoire en ruine
Vêtus de drapeaux trempés dans l’encre noire
Nos têtes brûlées et nos cœurs mutilés,
Nous traversons les barbelés des esprits fermés à double tour
Nous rampons sous les vagues et sous la marée humaine,
Jusqu’au lever du jour d’avant et celui du rêve d’après
Nous sommes ce pays du levant
Et cet autre pays du couchant
Agrippés à la lune comme des étoiles filantes
Une nuit quelque part dans le désert du Hoggar
Agrippés au coeur des hommes qui reviennent
Devenus d’infranchissables dunes de sable
Nous descendons vers le long fleuve tranquille
Pour laver notre honneur de l’infamie du code
Et nous remontons vers la cime des possibles
Pour étendre nos linceuls à l’air libre en chantant
Nous avons épuisé les mots durs et le blé tendre
Et nous avons asséché les puits d’amour et d’eau fraîche
Nous subsistons en avalant nos noms perdus sur le bout de la langue
Et en buvant nos larmes restées en travers de la gorge
Nous tournons le dos aux fruits de nos entrailles
Le visage enfoui dans les jupons de mère patrie
Nous cherchons ses mamelles gorgées de désespoir
Pour nourrir de leurs richesses toutes nos indignations
Nos yeux aux volets clos et nos oreilles dans les poches
Nous avançons à tâtons sur le sillage des oiseaux muets
Cherchant la porte dérobée du pays imaginaire
Que nous dessinons du regard sur le mur du son
Nous sommes ce pays du levant
Et cet autre pays du couchant
Agrippés au mât du radeau qui chavire
Comme des méduses que la vie rejette sur la rive d’en bas
Agrippés au tracé des frontières entre les peuples
Devenues d’insurmontables murailles de haine
Nous nageons dans les eaux troubles de la paix
Pour échouer sur l’île perdue de la mémoire
Nos corps finissant en queue de poisson
Gigotent dans le ventre de l’ogresse insatiable
Nos voix aiguisées comme des lames de fond
Se déploient à l’unisson sur le vacarme du monde
Pour briser le silence de cette bouche cousue
Au fil blanc des mensonges que l’oubli a tissés
Nous marchons la tête haute sous le joug des képis
Comme des funambules au dessus du vide des sens
Nous inscrivons le jour saint sur le livre des comptes
En trempant le destin dans l’eau des roses assassinées…

©Amina Mekahli. Poème inédit

Exclusivité pour le dialogue poétique « Nouvelles Voix »
Espagne/ Algérie/ Tunisie, Juin 2019.

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