C’est parce que les fleurs c’est aussi fait pour remplacer les mots justes, les gestes précis, les regards sincères, que les fleurs ne sont que cette manière maladroite de faire semblant, que ce bouquet de mensonge coloré et vite fané, les fleurs, cet acte de lâcheté vite cueilli, cette bravoure désuète et vite défraîchie.
Dites-le avec des fleurs qu’on vous dit, ou ne le dites pas du tout, arrachez la beauté, caressez les épines, rangez les excuses dans le vase du simulacre. Attendez ne partez pas ! il y a encore les pétales, les je t’aime, un peu, beaucoup, pas du tout… Les sourires forcés au fond d’un souci, les mains qui s’évitent de moiteur autour d’une goutte qui fera déborder le vase.
C’est parce que les fleurs, c’est en les séchant qu’elles deviennent des souvenirs, des instants ratés, des vies rêvées entre deux pages jaunies d’un herbier pourri. C’est parce que les fleurs elles, préféreraient ne pas être mêlées à des histoires de cul, à des disputes de vieux couples avachis par les regrets, rongés par la vermine du train qui n’est jamais venu. Les fleurs elles, emmerdent ces alibis très recherchés, ces arguments puisés au fond de la misère des sentiments, ces promesses inscrites dans le langage de leurs couleurs. Les fleurs elles, s’amusent de leur dictionnaire, elles s’ennuient sur les bouts de tables où rien ne se passe, où la seule lumière vient d’une flamme de bougie tremblante, où les mains se tordent d’impatience, où les yeux larmoient d’un bonheur inscrit sur une addition.
C’est parce que les fleurs ne sont dupes de rien, qu’elles se réveillent le matin en ouvrant grand leur mort annoncée, en respirant l’air vicié d’une réconciliation pathétique, d’une rencontre contre nature ou de ces retrouvailles préméditées ; qui s’habillent de hasard miraculé, de destin improbable, de caresses de la main d’un Dieu bienveillant.
Mais parce que les fleurs ont envie de se reposer, de vivre loin des bruits de salons, loin des anniversaires de dates douloureuses, loin des tentatives malencontreuses, loin des harcèlements ridicules, loin des infidélités mal assumées, loin des serments fatigués, loin des promesses d’un paradis éternel, loin des ruptures imminentes, loin des évènements sordides, loin des adresses inconnues, loin des farces de pervers narcissiques, loin des femmes idiotes, loin des chocolats, loin des bijoux emballés dans la hâte d’en finir, loin des diners de circonstances, loin des prétextes conçus dans des bureaux d’étude de cas, loin des aveux ravageurs, loin du pardon soumis, loin du désir bestial habillé de convenances, loin des mains d’un jardinier cupide, loin du monde humain qui croit pouvoir parler le langage des fleurs.
Les fleurs c’est parce qu’elles sont nées fleurs et qu’elles meurent comme des fleurs, qu’elles n’ont plus envie d’aider qui que ce soit à tricher, à mentir, à dire les choses en silence, à essuyer, à effacer, à repartir, à revenir, à pleurer sans larmes, à rendre heureux sans sourire, à promettre sans faillir, elles ne veulent plus non, qu’on les regardent, en pleurant de joie sans être heureux, en rêvant sans imagination, en dansant sans aimer la musique, en croyant à un monde qui n’existe qu’au cœur d’une fleur.
Ne le dites plus avec des fleurs qu’elles vous disent les fleurs, laissez les mourir sans vivre les chagrins d’amour, sans vivre les deuils des grands fantasmes et des grandes destinées, sans vivre les représentations et les rideaux qui tombent parfois… amoureux, sans se mouiller, d’eau et de sucre dans un vase encore plus malheureux qu’elles pour que sèchent les larmes des yeux d’hiver, sans devenir des poèmes empruntés, sans devenir des slogans, sans ressembler à des résolutions, sans se faner dans une main baguée pour le meilleur et pour le pire, sans absoudre, sans innocenter, sans porter le poids du bonheur de l’humanité sur leurs frêles pétales… je t’aime, un peu, beaucoup…pas du tout.
© Amina MEKAHLI