Les petits hommes verts

À entendre tout le monde se plaindre de la saleté, on finirait par croire qu’il y a des petits hommes verts qui jettent leurs ordures, la nuit, d’une autre planète…

Des cages d’escaliers bondées de détritus, des trottoirs ornés de sacs éventrés, des chats escaladant des monts d’impiété, des cafards en vacances, des rats qui ne fuient même plus, et se dorent au soleil, gavés de générosité humaine.

Tout le monde est propre, immaculé, irréprochable ; la ménagère qui balance ses restes prétend nourrir les chats, le gamin qui fiche tout par la fenêtre, le père qui a la flemme de soulever le couvercle de la grande poubelle et qui pose son sac à côté, ni vu ni connu. Tout le monde rechigne à faire les choses correctement, mais tout le monde râle, râle, râle. L’État, l’État, l’État. Quand on a un vide-ordure, des poubelles en bas d’un immeuble, et qu’on balance ses épluchures par les fenêtres, ce ne sont plus des agents de l’État qu’il nous faut, mais des superhéros, prêts à intervenir au cas par cas.

Les Algériens sont propres, impeccables même, civiques, consciencieux. Ils sont tous en colère de voir partout des plages ravagées par les ordures, des routes bariolées de sachets bleus, une nature d’immondices. Tous sont prêts à faire du bénévolat et à envisager de mener des actions. Mais ces mêmes Algériens, balancent leur chewing-gum, leur mégot, et leur bouteille par la fenêtre de leur voiture, ces mêmes Algériens refusent de payer les charges d’un immeuble, ces mêmes Algériens pensent qu’ils n’ont pas besoin de femme de ménage pour faire les escaliers, ces mêmes Algériens -qui connaissent parfaitement les horaires de ramassage d’ordures- sortent leurs poubelles à l’heure qui leur convient, ces mêmes Algériens remplissent la malle de leur voiture de grands sacs et les balancent dans la nature, ces mêmes Algériens jettent leurs déchets industriels dans la nature, ces mêmes Algériens qui jettent leurs déchets médicaux dans la nature, ces mêmes Algériens qui n’ont pas la notion d’incinérateur, ces mêmes Algériens qui crachent par terre, ces mêmes riches Algériens qui du haut de leurs bateaux balancent leurs pourritures directement à la mer, ces mêmes pauvres Algériens qui dépècent les sacs, les fouillent et les laissent éparpillés sur le bitume, ces mêmes Algériens qui stockent leurs pains secs sur leurs paliers, ces mêmes Algériens qui font des barbecues dans les forêts et laissent leurs résidus étalés comme des trophées, ces mêmes Algériens qui s’indignent devant leur télé qui injure les pesticides,  ces mêmes Algériens qui partout, jettent, jettent, jettent.

La saleté en Algérie est un discours politique, un combat associatif, des fonds, des subventions, des aides, des directives, des slogans, des campagnes électorales, des campagnes tout court, des prêches dans les mosquées, des discussions de café, des discussions de bain maure, mais jamais une remise en question individuelle, une action personnelle, un geste de beauté.

La saleté ! Oui évidemment, n’est même pas un problème de conscience, ni de religion, ni de civisme. La saleté en Algérie c’est le problème des autres ! Je vous l’ai dit ; des petits hommes verts qui jettent leurs ordures extra-terrestres dans nos rues. Les Algériens ces êtres parfaits, sans reproches, sans défauts, ces donneurs de leçons, ces grands universalistes pleins de sagesse. Lâcher un papier par terre eux ? Jamais !

Les Algériens doivent posséder pour aimer. Ce qui n’est pas à mon nom n’est pas mon chez-moi, ce qui n’est pas ma propriété ne me concerne pas, ce qui est à l’État doit être géré par l’État, même s’il s’agit du palier d’un appartement ou d’un escalier emprunté chaque jour pour rentrer chez soi. Enjamber des torrents de saletés ne dérange plus personne. Les contourner en regardant ailleurs est plus pratique, ou pire encore, finit par ne plus être remarqué. La crasse est là, comme un échec du système politique, pensent-ils, ou font-ils semblant de penser.

Les ordures sont là, tout simplement car nous sommes sales, nous les petits hommes verts évidemment. Les Ordures sont là, parce que nous sommes.

Oh Seigneur, je suis Algérien !

© Amina MEKAHLI

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