Jeunesse dorée… au soleil

Quel âge doit-on avoir en Algérie pour être concerné par une chronique, par un discours, par un débat ? Quel âge doit-on avoir pour mériter la confiance, le respect ? Quel âge doit-on avoir pour être un adulte digne d’intérêt ? Quel âge doit-on avoir en dehors des campagnes électorales, où les jeunes sont soudain encensés et mis en exergue ? Cette jeunesse qui a atteint la majorité légale et sexuelle, a non seulement le droit de voter et l’obligation d’ailleurs, mais elle a le droit de vivre et de s’exprimer. Être majeur en Algérie ne signifie pas grand-chose à part la crainte d’aller en prison.

 Voyager est un miracle, avoir un visa est une erreur génétique, s’amuser est un délit, aller en boîte est un luxe réservé à ceux qui gagnent très bien leurs vies c’est à dire les quadragénaires et plus.

Être majeur en Algérie et avoir vingt ans, quel parcours à l’envers ! Un jeune commence vieux, il a une vie de vieux. Des horaires calqués sur ceux de ses parents, quelques sous à peine pour un café et un journal, lire quelques livres prêtés par ci par là, discuter entre copains, jouer aux cartes et au dominos, et espérer.

Puis l’âge allant, il gagne un peu plus d’argent, il achète à trente ans les fringues dont il rêvait à vingt, il commence à penser à un passeport, il partage avec quelques amis un petit studio, pour les plus chanceux, et la vie de jeune commence à pointer du nez, quelques petites escapades, quelques transgressions et des poussières, et la course encore contre l’ennui, contre le temps qui recule, contre le système qui l’ignore en l’endettant de plus en plus.

A trente ans, les petites virées commencent, quelques sorties et internet encore et toujours, la musique, la culture, toutes les choses simples sont hors de prix.

Jeunesse dorée ? Au soleil et encore ! Tout est tellement simple et compliqué en même temps pour un jeune. La vie ils la prennent comme elle vient, enfermés et cloisonnés dans un espace aux frontières fermées, ils rêvent d’une Algérie pour eux, jeune et vivante.

Ces jeunes de la vingtaine sont brillants, ambitieux, nationalistes, inventifs, débrouillards, drôles, cultivés. Et oui, ils le sont. Cette image du jeune mendiant un crédit qui leur colle à la peau, cette image du jeune attendant L’ANSEJ  les fait rire souvent. Ils s’expriment comme ils peuvent sur les réseaux sociaux, ils ont une conscience politique pointue, ils suivent l’actualité et analysent tout. Ils sont vivants difficilement mais ils vivent.

Ignorés et insultés par tous, ils se désolent d’être aussi mal traités par les médias, d’être caricaturés comme des bons à rien, des bras cassés, des ingrats du système. Ils ne sont dupes de rien. Ils avancent et se créent leurs propres codes, leur propre langage, leur propre avenir.

L´Algérie ? Ils y croient fermement, loin de la capitale qu’ils n’ont jamais visitée pour la plupart, ils arrachent leur « algérianité » au quotidien.

Ils ne sont pas que des supporters de football, contrairement aux idées reçues. Ils créent des pages, des blogs, des médias à eux et pour eux. Ils y sont à l’aise, ils ont tout inventé ou presque un humour décapant, un langage bigarré faisant fi du caractère monolingue de la Constitution du pays, ils sont officieusement multilingue. Ils maîtrisent tous les supports, s’entraident et s’encourageant. Ils filment, dessinent, écrivent, prennent des photos de leurs univers et de leurs conception du monde. Ils ont du talent et de la volonté. Ils existent.

Chauvins et fiers, ils le sont encore plus quand un des leurs perce enfin de son nulle part. Le nulle part ils connaissent très bien, ils sont du même bord, ils partagent sans modération son talent et son exploit. Ils rient de tout et le caractère tragique des situations est toujours matière à la dérision.

La jeunesse Algérienne ne vit pas que dans la capitale, elle foisonne partout dans les villes, les villages, lesdouars, les montagnes et le désert. La jeunesse Algérienne est une et multiple.

Ces jeunes Algériens sont inévitablement la source et la solution du problème, ils le savent et ils se préparent à prendre la relève naturelle des choses. Ils sont ouverts au monde et au changement, et trouvent mille parades aux tracas du quotidien. Terrassés pourtant par une société qui les pointe du doigt et les place tous les jours à son ban. Ils sont révoltés par l’image que leurs aînés produisent d’eux. Ils sont seuls mais ils sont nombreux !

Ils ne sont pas des casseurs en berne, ni des brûleurs de pneus en mal de célébrité, ils ne sont pas cette jeunesse dessinée comme une meute de moutons par l’intelligentsia vieillissante. Ils sont des têtes et des cœurs, amoureux, rêveurs, battants, brillants et déterminés.

Le soleil n’a pas d’âge et le plain blanc non plus. Pour peu que nous daignerons un peu leur laisser un espace de reconnaissance et de gratitude, ils seront prêts à tout le meilleur comme le pire, mais ils ont opté pour le meilleur envers le pessimisme ambiant et les événements du monde qui les inquiètent bien plus que nous le pensons.

La modernité et le développement leur ont fermé les porte des aéroports, ils ont ouvert des fenêtres, des millions de fenêtres  par lesquelles ils laissent entrer la lumière et l’espoir d’une vie meilleure.

Aimons-les.

 

© Amina MEKAHLI

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