Journal intime d’un crayon noir (2)

Je n’ai de certitudes pour rien, ni pour la couleur de ses yeux que j’ai à peine touchés, ni pour la douceur de ses lèvres tremblantes de peur et d’effroi, ni pour rien qui lui ressemble quand tous les matins s’alignent comme des petits soldats du bonheur.

Je n’ai de certitudes pour plus rien, quand la nuit arrive dans le pli du cœur, entre les étranges souvenirs d’avant ce tout, cette frayeur de perdre, cette furie de gagner, et ce repos qui ne viendra jamais plus.

Je ne suis plus qu’attente désorientée, langueur désarticulée, ferveur oubliée, dans les corps qui s’amoncellent dans la ressemblance des amours sans train, dans les prénoms chantés par les troubadours, dans les mains tatouées sur les fronts chauds.

Je ne suis plus celle que je connais, celle qui habitait la tour des poètes, celle qui tenait sa langue en chapelet, celle qui souriait aux lendemains incertains, celle qui offrait son pain aux oiseaux de la terre, je ne suis plus celle que je reconnais.

Je n’ai de mémoire pour personne, ni pour les albatros en reconnaissance, ni pour les marins de la conquête, ni pour les savants qui s’ignorent, ni pour les hommes sans trajectoire qui se brûlent sur les sentiers du retour.

Je suis cet animal aveugle, qui ne reverra plus, qui cherche sa tanière au milieu des fleurs arrachées, au milieu des vents contraires, au milieu des ventres sans nombrils, au milieu d’un ciel sans appel. Je suis cet animal aveugle.

Je n’ai plus cette noirceur au bout de l’abîme, plus de lèvres sur les sépultures des amants, plus de lait dans les bouches taries, plus rien je n’ai, plus rien je n’ai. Je n’ai plus cette clarté au bout de mon silence.

Je n’ai d’amour que de cette ombre, qui vole entre deux rayons, qui s’invite sur tous les firmaments, qui danse devant la flûte d’argent, cette ombre que j’aime quand je me souviens.

Quand je me souviens, les nuages ressemblent aux champs d’orangers, la musique ressemble au bruit de ses pas dans mon tympan, la terre a le vertige des derviches, et mes rires reviennent frapper des mains aux portes du départ.

Je veux écrire, comme ces gribouilleurs de la joie, comme ces maladroits de l’éternel, comme ces faiseurs de contes, comme ces raconteurs de chagrin, comme ces diseuses de voyages. Je veux écrire ces quelques moments d’un visage, ces quelques questions d’un moment, ces quelques réponses sans mots. Je veux écrire.

J’écrirai un jour, j’écrirai au grand jour, je crierai un jour, je crierai au grand jour.

Je n’ai de certitudes pour rien, ni pour la couleur de ses yeux que j’ai à peine touchés, ni pour la douceur de ses lèvres tremblantes de peur et d’effroi, ni pour rien qui lui ressemble quand tous les matins s’alignent comme des petits soldats du bonheur.

© Amina MEKAHLI

Vous avez aimé le texte ? Alors laissez un commentaire juste au-dessous ↓

commentaires

Laisser un commentaire