Je regarde mes petits bateaux en papier, trembler sur le bord des larmes, les mots sur le papier disparaissent, l’encre coule comme le sang qui revient, et je regarde sous ces mots, ces moments que tu as voulu éternels, car tu t’es voulu unique, ces moments que tu as voulu magiques car tu t’es voulu prestidigitateur en me frôlant le cœur, en l’ouvrant avec tes doigts acérés, en l’ouvrant avec tes dents blanches de prédateur fatigué, tu as ouvert mon cœur avec tes certitudes voilées, avec tes gestes maladroits, avec les phrases que tu ne finissais jamais, tu as ouvert mon cœur oui, avec la clé que tu m’avais volée, mais tu l’as refermé aussi, recousu avec tes dents blanches, soudé avec le fer de l’esclave que j’étais, plombé avec un pan du ciel, mon cœur, tu l’as enseveli sous la neige du pôle nord, où je suis venue le chercher, sous la glace de l’indifférence, sous le froid du monde, sous l’inquiétude des tempêtes de neige, oui je l’ai trouvé, enveloppé dans de vielles lettres,jaunies, malades, écrites comme des destins, des lettres sans nom, interminables, éternelles, des mots venus de partout, au secours du refus, des mots en renfort, des mots solidaires de la vie qui s’arrête, des lettres mouillées de sève, d’élixirs,de salive et de sueur, des lettres drôles, comme la vie, car la vie est hilarante, la vie rit et se consume, la vie éclate de rire dans les glaciers morts, et le soleil la regarde, le soleil l’attend, et quand enfin il se couche, et que ton souvenir s’éloigne vers la lune, ou vers les étoiles, et qu’il est mangé par les monstres de la langueur, les ogres du manque, les loups des forêts noires comme des idées, je regarde mes petits bateaux, et ce n’est plus toi que je vois, ce n’est plus ton ombre bleue qui m’étrangle avec ses cordes de promesses, qui m’étouffe avec ses grands airs, je vois la vie qui dessine en tremblant, un cœur, un cœur qui se remet à battre sur le pôle, je vois le monde qui ne danse plus sous tes pas inventés, je vois la terre qui tourne dans le bon sens, je vois la terre qui t’oublie déjà, je regarde mes bateaux en papier, et je me vois, libre comme un oursin, heureuse comme une marmotte, légère comme une araignée, je me vois flottant déjà avec les voiles de l’amour sous le vent, le vent venu du pays des créatures…
© Amina MEKAHLI