Un texte au milieu de rien

Sur son châle bleu en mohair tout effiloché dont les poils tombent partout sur son passage -on aurait dit un châle malade-, elle a accroché des dizaines de barrettes usées dont le scintillement usé, lui aussi par le temps et la saleté, ressemblait à un ciel étoilé, traversé par les nuages épais d’une nuit d’orage.
Sa maigreur qui tire su sa peau jusqu’à la fendre en des centaines de gerçures violacées, donne quand même à sa pâleur quelques reflets de couleurs. Rien ne la distingue d’une petite mendiante ordinaire ou presque, un petit détail pourtant a attiré le regard de ce grand homme aux allures princières.
Un homme aussi différent qu’elle pouvait l’être. Gantées d’une paire de mitaines en cuir luisant, ses mains sont lourdement chargées de deux grands sacs en cuir flambant neufs. Ils marche difficilement en suivant le balancement régulier de la charge qu’il traîne à bout de bras.
Essoufflé presque au moment où il aborde la petite fille au châle bleu en mohair tout effiloché, qui a un fou rire à sa vue.
Un rire tellement franc et fort qu’elle arrive sans peine à le communiquer au jeune homme aux habits luxueux, qui après avoir déposé ses sacs volumineux sur un banc public, a pris soin d’ôter son chapeau en feutre pourpre pour la saluer.
— Bonsoir jeune fille !
— Excuse-moi mais c’est trop drôle ! Je ris, je ris, je ris…
— Riez, donc ! Vous avez bien raison de rire. N’avez-vous pas froid ?
— Oh ce que tu es drôle ! Je vais mourir de rire pas de froid. Je ris, je ris, je ris…
— Vous avez des larmes, jeune fille !
— Oui de rire. Tu me fais trop rire !
— Vous me rassurez ! Si vos larmes sont de rire…
— Qu’avez-vous dans ces gros sacs ? Des morts ?
— Non des châles. Des châles en mohair bleus. Je suis fabricant de châles en mohair.
— C’est quoi la mohair ?
— Le et pas la mohair car c’est un poil, est une laine fabriquée à partir de la toison de la chèvre angora.
— Tu es trop drôle et tu dis des choses trop drôles. Une chèvre ! Je ris, je ris, je ris.
— Mes châles sont exactement comme celui que vous portez. C’est pour cela que je me suis arrêté pour vous parler.
— Ne me dis pas qu’il est à toi car je l’ai trouvé jeté dans un cimetière.
— Le cimetière où je l’ai déposé, il y a trois ans.
— Tu veux le reprendre c’est cela ? Donne-moi tes gants je te le donne. C’est aux mains que j’ai le plus froid quand il fait froid.
— Non je ne veux pas vous le reprendre, mais tenez, prenez mes gants je vous les offre.
— Je ne suis pas une mendiante.
À peine a-t-elle fini de prononcer sa phrase que son châle bleu en mohair tout effiloché dont les poils tombent partout sur son passage, s’est envolé très haut dans le ciel étoilé de cette nuit glaciale. Sur le banc public à côté des deux sacs en cuir, un bout de mohair bleu virevolte encore comme une feuille morte…
La petite fille a disparu.
Amina MEKAHLI. (un texte au milieu de rien)

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