Histoires à écrire debout (9)

C’est dans un centre de redressement pour jeunes filles mineures, elle avait 14 ans, douce, timide, silencieuse, elle parle enfin, arrêtée pour avortement illicite avec un groupe d’autres femmes dans un village, enceinte, violée pendant des années par son oncle paternel dans une ville de l’intérieur du pays, sa mère la met à la porte en la traitant de traînée, pour protéger son foyer et sa famille, elle marche seule sur des kilomètres, fait du stop, est récupérée par cette dame, qui découvrant sa grossesse et l’horreur décide de la faire avorter. Elle a fini sa peine, passé son bac en prison, et fait des études de psychologie. Elle m’appelle Madame Amina, et elle me donne souvent de ses nouvelles.

C’était un chanteur à la voix magique, il chantait le terroir comme une complainte cristalline, il était respecté par tout le monde, un homosexuel discret et doux sans artifices ni faux semblant. Dans son quartier tout le monde le vénérait, il s’occupait de sa maman et de sa famille. Il n’a jamais eu cette gloire qu’il méritait, ni cette reconnaissance pour laquelle il a travaillé toute sa vie. Il chantait le soir dans un petit cabaret derrière le théâtre d’Oran, il était heureux quand on allait l’écouter. Il connaissait les maîtres oranais par cœur. Il est mort un jour sans un bruit, sans un cri, sans tambour ni ghaita. Cheikh Belahouel.

C’est une femme aux yeux pétillants, quatre-vingts six ans , elle me raconte ses mariages: J’ai eu six maris, la première fois que je suis allée devant un juge pour demander le divorce, il n’en revenait pas, à l’époque j’avais vingt ans et c’était à Tiaret, par la suite c’est devenu une procédure, oui madame, vous payez votre dot ? Oui je paye mais je ne reste pas avec un homme qui n’a pas de considération pour moi parce que je suis stérile… Et alors ? Alors j’ai adopté des enfants, le dernier, c’est lui qui s’occupe de moi, il a vingt huit ans, j’ai adopté aussi trois filles de la même mère, c’était des sœurs, elles sont reparties un jour la retrouver et m’ont laissée, mais c’est la vie, et mon fils le pilote de chasse, il est mort le pauvre, mais j’ai eu une pension et des droits car il était militaire, et…, et…, et…, vous en avez adopté combien? Trente en tout et aujourd’hui je vis seule avec mon plus jeune fils. C’est la vie.

© Amina MEKAHLI

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