Raconteuses du néant

Raconteuses du néant
D’avant la naissance du mot
Cette plume qui se déploie
Dans vos viscères enchevêtrées
Écrira-t-elle aux étoiles ?
Femmes sourdes,
Je perçois vos murmures
Qui se mêlent à l’ombre du vent
Dans mon oreille blessée
Où l’oiseau fait son nid
Pou couver vos silences
Jusqu’à la saison muette

© Amina MEKAHLI.

Si j’étais présidente !

Mon texte du 08 mars 2020
“Si j’étais présidente !”

Je viens d’être élue présidente de mon pays !
Mais, pour être présidente j’ai du avoir le sein tari et le vagin cousu.
J’ai dû abandonner l’idée même de copuler. Une femme ici pour devenir un homme, doit devenir un homme qui ne baise pas, qui ne couche pas, un homme qui ne connaît plus le désir ni le plaisir de la chair.
Une femme ne devient pas homme, elle devient un saint.

Je suis devenue présidente, élue au suffrage universel, car je représente la chasteté, l’honneur, la laideur, la répulsion.
Je suis un animal méconnu, je suis la chose politique, je suis un corps calciné.


Les femmes sont fortes, moi je le sais, tout le monde le sait, mais les femmes sont les premières à voter des lois faibles, des lois pour asservir les femmes encore et toujours. Mais, cela a bien changé !

Je suis devenue présidente parce que j’ai compris les hommes et parce que j’ai oublié que j’étais une femme.

Je dirige un pays difficile, gigantesque, indomptable. Un pays que les hommes eux-mêmes ont oublié. Je suis présidente en terre d’Islam, une religion qui dit : Maudit soit le peuple que dirige une femme.

Je dirige un continent grandeur d’univers, une communauté tribale déchirée par la haine de l’autre, la haine des femmes.


Je suis devenue présidente parce que les hommes en ont eu marre, ils ont abdiqué à mon règne, ils ont capitulé à ma suprématie, ils ont rampé à terre. Les hommes ont voté pour la femme que je suis, ils ont voté pour leur salut.

L’Algérie est un grand pays, que seule une femme peut comprendre. Un pays que seule une femme peut aimer comme on aime vraiment. Nous les femmes, nous aimons sans conditions le fruit de nos entrailles, à en mourir, à en crever.


Je suis devenue présidente car j’ai compris la détresse des hommes et leur désarroi, j’ai compris leur peur et leur fatigue, j’ai compris leur crainte et leur culpabilité.
J’ai donné des promesses et des assurances, j’ai rassuré leurs egos et leurs consciences, j’ai calmé leurs ardeurs.

Les hommes ont souffert dans ce pays, trop souffert ! Les hommes ne sont pas libres. Ils subissent les mariages arrangés, ils subissent les traditions, ils subissent le clan et le patriarcat. Les hommes n’avaient aucun droit de dire non à leurs mères abusives, ils n’avaient aucun droit de choisir : un métier, un destin, une ville, une maison, un canapé, un plat du jour !

Les hommes après leurs mères subissaient leurs épouses ! mais je les ai rassurés que les choses allaient changer et que désormais leurs droits seraient préservés.

Les hommes ont voté pour moi car j’ai parlé de leurs conditions dans mon programme !
Dans mon programme, les hommes seront libres de vivre leurs vies, libres de sortir et de marcher, libres d’aimer et de choisir, libres de dire non à leur mère et à la société, libres de regarder des femmes libres sans avoir peur pour leur avenir, libres de laisser leurs filles et leurs sœurs nager dans la Méditerranée sans se faire dénigrer par la tribu.

Les hommes ont trop souffert et c’est pour cela que j’ai décidé de me présenter aux élections présidentielles, pour les libérer !
Pour une Algérie libre et démocratique, une Algérie où les hommes seraient enfin les égaux des femmes !

Amina MEKAHLI. Si j’étais présidente !

Huit mars et une voix

Je me suis jetée dans leurs voix
comme une flamme en manque
de bois et d’air
Brûlant les forêts millénaires
et les arbres du temps de paix
Puis mon silence comme un jet d’eau
a rendu à l’horloge son siècle :
celui de tous les âges confondus.

Ils auraient pu m’insuffler la vie,
celle que j’attendais depuis l’an mort ;
j’aurais incendié les nuages et la pluie,
jusqu’aux cendres de l’épuisement,
jusqu’à la pénombre du jour nouveau,
jusqu’à la terrasse du monde silencieux.

Ils auraient pu attiser les vents contraires
et les braises méconnues,
puis faire feu de tout amour
comme il vient…sur moi

Je demeure de glace et sans voix
comme une montagne crevassée,
sous les pas des prédateurs perdus,
sur la cime du mont des cadavres ;
et je rêve sous terre de l’éclosion
d’un chrysanthème ou d’une promesse.

Amina MEKAHLI.

Fragments d’une boule de cristal

Tout semble s’arrêter,
le temps,
le deuil,
l’envol des âmes et des oiseaux

Et pourtant, son front en sueur et ses muscles en acier,
qui tirent le passé enfermé vers
l’extérieur
chantent l’hymne à la joie

Jour après an, les murs défraîchis de la cabane,
accrochée aux nuages,
repoussent vers la terre
les dernières éclaircies de la mémoire

Les morts n’auront plus de lits à la tombée du jour,
quand les vivants iront contempler la mer,
en écoutant l’eau de la source
couler dans le silence des marabouts
gardés par une femme
sourde et muette

La couleur du henné
rougeoyant comme le soleil
continuera à disparaître au fond du vieux bendir
jusqu’à la fusion du départ et du recommencement

Amina MEKAHLI, “Fragments d’une boule de cristal”