Le Tableau Déchiré

Viens sous mon tableau déchiré
Repeindre mon espérance de vie
Compter sur des mains blanchies
Les jours des instants qui tremblent

Viens dans mes bras ballants
Cacher ton regard rougissant
Quand tes yeux aiment plus fort
Ce que tu ne peux plus aimer

Viens sous ma toile en lambeaux
Pan de nuage ou bout de pleine lune
La valse commence au fond de l’image
Et nous ne danserons plus…non plus.

Viens sur mon clavier qui s’ennuie
faire quelques pas vers demain
peut-être une note oubliée d’un air
désuet
t’ouvrira les lucarnes du chemin

Viens sur mon conte jouer notre chiffre
de chance ou de mal-vie, deux, trois, l’infini
joue ma peine et ta vie, ton silence qui me sourit
joue ton soleil et ma mer, ma santé retrouvée

Viens sur mes livres qui s’empilent
chasser tes idées blanches, tes questions qui
meurent en moi, et vivent loin de ma réponse.
Regarde sous la poussière tu verras mon titre
écrit en tout petit en dessous de la tragédie
Trois mots et quelques lettres dans une langue
morte, un dessein, une poésie, un gribouillis incompris.

Viens allons cueillir les impossibles
sur les lèvres décousues, sur les yeux qui s’ouvrent
sur les matins fragiles et sur les nuits sans danger

Viens toucher ma main qui sera froide pour toi
ma main ne brûle pas la peau des mains tendues
Je n’ai plus de jambes pour courir dans les champs
Le blé me manque et les ronces qui m’égratignent
Le sable qui se ploie et le sel qui me donne soif
L’eau fraîche me manque et les mots d’enfants
Raisonnent dans la cour de mon école oubliée

Viens sous mon tableau déchiré

Ramasser avec moi mes images qui s’envolent
Emportées par ton silence comme un vent dans la nuit.
Ramasser mes signes, mes fragments de raison
Mes bouderies, mes colères, mon rire qui s’enfuit
Ramassons ce qui reste et qui ne restera jamais
Recolle moi mes débris, mes bouts de choses á moi
Et ces milliers d’éclats de mon coeur, ces étoiles mortes

Viens sous mon tableau déchiré

© Amina MEKAHLI

Baiser sous un olivier

Oh tes joues se gonflent
ballon de baudruches
de mes rires partagés
tes yeux larmoient de sève
et tes doigts s’animent
de mon récital en folie
Duo de chaises vides
dans une chambre blanche
quand vient le jour dans l’air
frais de nos petits coeurs
Oh tu ris aux éclats ta peine
et ton tourment, tu ris brave
et funambule avant de tomber,
Amoureux.
Quand j’entends ta voix claire
chanter des bouts de refrains
décousus du sens du vain
je me retourne sur ton front
lisse de repos et doré de labeur
au soleil.
Tu n’es pas amoureux de moi
tu es l’Amoureux…
des étoiles de mer et des ballons
colorés qui s’envolent
des petits poissons rouges
et des livres oubliés
des chapeaux de paille
et du pain chaud
Et ta peau s’écrira
baiser sous un olivier
sur ta veine de guerrier
qui s’enfle sous le vent
sur ta paupière close
qui me frémit parfois
Nous avons marché si fort
que le loin est arrivé
aux portes des initiales
de nos gravures oubliées.
Amoureux…

© Amina MEKAHLI

Lettre ouverte à Monsieur Yasmina Khadra

Suite au droit d’insultes que vous venez de publier pour vous défendre d’un article du journaliste Kamel Daoud du Quotidien d’Oran, et le mot défendre est un doux euphémisme.

Ayant lu les deux papiers, je me donne le droit en tant que simple lectrice de vous répondre.

Pour ceux qui n’auraient pas lu cette correspondance parue sur le Quotidien d’Oran, reprise dans son intégralité sur ce lien ou votre droit de réponse nous donne un aperçu Monsieur, de votre langage bien loin ce matin de votre lyrisme vendeur.

Déjà écrire Monsieur Khadra me gêne un peu,cela fait personnage travesti dans un spectacle douteux mais bon à toute chose on s’habitue. Je me suis longuement demandée au début de votre “Carrière” littéraire menée comme un projet commercial, de quel apport serait le choix d’un pseudonyme féminin, par un militaire algérien. Les deux mots militaires et algériens ont leur importance dans ce choix de travestir son patronyme. Il ne faut pas nous éloigner de notre culture puisque c’est de cela qu’il s’agit, porter le nom d’une femme même si c’est la sienne est un geste commercial, cela me rappelle Cheb Abdou quand devant une journaliste il a dit non je ne suis pas homosexuel, j’ai décidé d’être efféminé pour être accepté dans les cercles de femmes, pour animer des soirées de femmes car les mariages ne sont pas mixtes en Algérie.

Monsieur Khadra lui a choisi d’être une femme à une période ou il était plus vendeur pour une femme qui parle de terrorisme, qui parle d’islamisme, qui parle de cette Algérie colportée en chuchotements et en bruits de couloirs, cette Algérie qui n’a eu à cette époque que des gens la fuyant pour parler d’elle au monde entier, vous le dites dans un entretien : [J’ai été tout de suite adopté par le lectorat français, du temps de la clandestinité : il y avait un mystère autour de mon pseudonyme, on ne savait pas qui se trouvait derrière ce nom. L’intérêt que mes livres ont suscité a fait que les gens ont voulu connaître la personne qui écrivait…] Vous avez choisi vous Monsieur Khadra ou Monsieur Yasmina, les deux sonnent bien la mascarade, d’être une femme comme moi pour parler de moi “Algérie” et très vite de vous surtout. Soit.

Vous savez je ne suis ni journaliste, ni écrivain, ni militaire, ni politique, donc cela me préserve de vous jalouser, et encore moins de vous envier, mais je suis une lectrice, une fourmi, qui lit entre les lignes, entre les mots, entre les souffles et les titres. Eh oui voyez-vous une autre des vos spécialités les titres, vous devez passer plus de temps à choisir vos titres qu’à écrire vos livres, et votre notoriété vous vient justement de ce choix judicieux de thématiques dans l’air du temps… Eh oui je peux vous en donner quelques exemples, Madame Khadra, oui madame sera plus commode pour moi, je vous avoue que cette émasculation que vous imposez à votre patronyme me dérange. Entre les hirondelles de Kaboul et les sirènes de Bagdad, votre Attentat tente les grands prix et dommage, on vous en veut, on vous jalouse, on ne vous reconnait pas à votre juste valeur, et j’en passe de tous les propos que vous avez eu quand la France comme vous le disiez vous a refusé le fameux Goncourt, mais enfin c’est fait ouf ! d’ailleurs ne dites-vous pas dans un entretien récemment que la France vous a rendu votre intégrité… et encore un petit tour de fourmi… vous dites au journal “Liberté” : “L’Académie française me rétablit dans mon “intégrité d’homme”, et de romancier”… l’aviez-vous perdue ?

Je vous écris ce matin car j’ai lu un droit de réponse : un droit d’insultes, un droit de misère intellectuelle, un droit de fustiger la critique, un droit de maltraiter un journaliste parce qu’il a eu le malheur d’avoir été votre invité et peut-être votre ami. Vos mots sont d’une telle indigence de bon sens qu’ils en manquent de grâce et de beauté et oui difficile de parler beauté, humanité, égalité et amitié quand on est mégalomane, égoïste et opportuniste.

Monsieur L’écrivain, n’est-ce pas encore un des titres de vos livres et sans doute le titre le plus pompeux de votre série de best-sellers fabriqués entre une féminité empruntée et un machisme déguisé entre un patriotisme de parade et une persécution imaginée qui vous a mené jusqu’au Mexique… Votre passé dans l’armée algérienne vous a bien aidé pour devenir célèbre, mais aujourd’hui il vous aide pour ne plus vous investir dans les problèmes de ce même pays, ne plus parler de l’actualité de votre pays, en oubliant même que vous occupez un poste politique (Directeur du centre culturel algérien de Paris pour ceux qui ne vous connaissent pas, eh oui monsieur tout le monde ne vous connait pas !!), je cite l’Express, et oui je vous avais dit je suis une fourmi : [Il avoue s’être tu sur les événements de son pays après avoir été “présenté comme un militaire” par les médias qui l’interrogeaient, pour éviter “confusion” et “malveillance”.]

Monsieur L’artiste maudit, le penseur malade, l’intellectuel désabusé, le littéraire inégalé, l’Algérien persécuté vous avez un droit envers vos lecteurs, envers cette Algérie qui d’une façon ou d’une autre vous a rendu célèbre, le malheur des uns… eh oui j’use d’adages moins populaires que les vôtres du reste, mais n’êtes-vous pas un enfant du peuple au fait ? vous qui arrivez à vos conférences avec des gardes du corps…

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[Dans son fantasme, il assainissait, il élaguait pour ne garder que ce qui comptait à ses yeux. Et l’Arabe ne comptait pas à ses yeux. Il était dans son rêve algérien. Cela ne l’a pas empêché, dans son rôle de journaliste, de décrire le quotidien des Algériens avec justesse. Mais pas dans ses romans. J’ai toujours voulu lui répondre. “Ce que le jour doit à la nuit” (Ed. Julliard, 2008) est ma réponse algérienne, fraternelle. J’ai tout simplement voulu lui dire que l’Algérie, ce n’est pas ce type qu’on abat sur une plage parce qu’il fait chaud. J’ai voulu montrer que l’Algérien est une histoire, une épopée, une bravoure, une vaillance, une intelligence, une générosité. Toutes ces belles choses que Camus n’a pas réussi à déceler. J’ai toujours voulu lui dire que malgré la magnificence de ton talent, malgré ton immense génie, tu as été injuste avec l’Algérien !… Quand il écrivait dans la presse, il était hésitant. Il s’engageait, puis se rétractait, puis revenait… C’était quelqu’un qui n’arrivait pas à choisir. Il s’accrochait à cette Algérie comme un naufragé à son épave. Il n’avait qu’un seul rivage : que ce pays reste ce qu’il a toujours été pour lui. Il aimait atrocement ce pays. Et il était prêt à tous les sacrifices. Et jusqu’à sacrifier son âme pour son Algérie à lui. J’ai toujours dit qu’on ne devait jamais impliquer un écrivain ailleurs que dans son texte.]

…Dans ce dernier paragraphe, devinez qui parle de qui ? Et non voyez-vous c’est Yasmina qui parle de Camus eh oui ! Dans un article au titre pompeux de : “L’Arabe ne comptait pas à ses yeux” extrait d’un article sur Albert CAMUS. Cet Algérien est toujours aux aguets de ces voix qui parlent de lui en l’aimant dans le déni comme vous le faites si bien.

Voilà cher Yasmina c’était mon droit de réponse, moi lectrice algérienne lambda, fille du peuple comme vous, ayant connu le terrorisme comme vous, aimant l’Algérie et respectant la liberté de critiquer et le point de vue de mes amis. C’était aussi votre point de vue dans une interview d’Isabelle Masson :

IM : De quoi êtes-vous le plus fier ? 

YK : De ma victoire sur moi-même : pouvoir recevoir les coups et ne pas fléchir. Ça c’est une grande victoire ! Vivre dans l’exclusion, et ne jamais cesser de construire des passerelles avec le monde extérieur. Être étiqueté de tout, traité de tous les noms, et réussir des livres fantastiques, qui émerveillent le monde. Je suis traduit dans 22 pays, dont des pays qui ne savent même pas où se trouve l’Algérie . Et pourtant quand j’y débarque, il y a des gens qui m’accueillent, qui viennent me voir : ça c’est merveilleux. Je crois en l’Homme, en l’intelligence. J’ai été construit par des hommes intelligents et je ne vois pas pourquoi à mon tour je n’essayerais pas de rendre, ne fût-ce que le minimum de ce que j’ai reçu. Je ne crois pas beaucoup à la haine. La haine, la colère, la vengeance relèvent de ce qu’il y a de plus basique chez nous. La seule façon de reconquérir son humanité, c’est de transcender tout ça et d’aller vers les autres avec une foi inébranlable. Sinon, à quoi ça sert d’écrire ? Chacun écrit comme il l’entend. La littérature est aussi vaste que l’univers et aussi complexe que l’homme. Je suis venu à la littérature parce que j’aime. J’ai été privé de cet amour. Je le cherche partout : dans le regard des lecteurs, dans les critiques encourageantes, dans le succès de mes livres.

Je retiens ce passage… “Je ne crois pas beaucoup à la haine. La haine, la colère, la vengeance relèvent de ce qu’il y a de plus basique chez nous. La seule façon de reconquérir son humanité, c’est de transcender tout ça et d’aller vers les autres avec une foi inébranlable.”

…plus facile de le dire que de le faire je vous l’accorde!

Je suis déçue car ce matin vous me prouvez exactement le contraire de tout ce que vous dites dans vos livres et dans vos entretiens, mais cela ne date pas d’aujourd’hui, je tenais à vous le dire, mais peut-être ne liriez-vous jamais ma lettre car voyez-vous moi je ne vous connais pas et donc dommage vous ne pourrez pas m’aider à publier ma lettre.

© Amina MEKAHLI

Entaille

Terre qui chante sous mon ventre,
vaisseau fantôme d’une tradition,
enroulée dans une chair à canons.

Tes cuisses ficelées à ta volonté,
tremblent de noirceur et de nuit,
ton antre dévisagée sous ta douleur,
se ploie sous les regards de la folie.

Petite immortelle entachée,
tu brûles le sable qui se dérobe de honte,
sous ton continent de sortilèges.

Petite source trahie,
tu t’assèches de sève et t’allonges brisée,
pour couper l’arbre de tes gènes meurtris,
sous tes pieds engloutis.

Terre qui gronde sous ton silence,
découpé en testaments du grand salut,
tu enfanteras tes ennemis.

Vol de l’oiseau,arrachement et les ailes.
Afrique vole vers toi!tu feras tomber les racines
mal faisant et la magie du diamant sans maître!

Petite bouche tu me souris,
et je te pleure quand je m’en vais,
sur tes allées écartelées,
aux doux regards du sang versé.

Petite haine du barbier,
tu joues dans la rue avec tes coquillages,
tes doigts pointés au ciel ,courant après l’étoile,
tes jambes disparues sous ta robe ensanglantée.

‎”Terre qui chante sous mon ventre,
vaisseau fantôme d’une tradition,
enroulée dans une chair à canons,
Afrique viole toi!”

© Amina MEKAHLI.

(Ce texte est dedié à toutes les personnes qui subissent des sévices corporels au nom d’une tradition ou d’une religion.)